MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PURLIQUE ET DES BEAUX-ARTS
■ 1 ~ O
MÉMOIRES
PUBLIÉS
PAR LES MEMBRES
DE
L’INSTITUT FRANÇAIS D’ARCHÉOLOGIE ORIENTALE
DU CAIRE
SOUS LA DIRECTION DE M. É. CHASSINAT
LE CAIRE
IMPRIMERIE DE L’INSTITUT FRANÇAIS
D’ARCHÉOLOGIE ORIENTALE
1912
Tous droits de reproduction réservés
MÉMOIRES
PUBLIÉS
PAR LES MEMBRES
L’INSTITUT FRANÇAIS D’ARCHÉOLOGIE ORIENTALE
DU CAIRE
TOME VINGT-SEPTIÈME
ÉMILE GALTIER.
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS
RÉUNIS ET PUBLIÉS PAR
M. ÉMILE CHASSINAT
INTRODUCTION.
Émile Galtier a laissé en mourant de nombreux papiers. Ce
ne sont malheureusement, pour le plus grand nombre, que des
ébauches de mémoires, des notes prises en vue d’un travail dont
le plan est souvent à peine indiqué, des copies de textes arabes
inédits, des fiches lexicographiques ou grammaticales dont la
publication ne peut être tentée, même partiellement.
Parmi cette masse de documents, dont la variété montre f étendue
des connaissances de celui qui les a ramassés, j’ai fait choix des
sept mémoires que l’on trouvera réunis dans le présent volume.
Les deux derniers sont inachevés; j’ai cru devoir les éditer néan-
moins, malgré leur état fragmentaire, à cause de l’intérêt qu’ils
présentent, en particulier l’étude sur les Mille et une Nuits. Un
moment, j’ai eu l’intention d’y joindre diverses homélies, légendes
pieuses et vies de saints que Galtier avait extraites des manuscrits
arabes chrétiens de la Bibliothèque nationale, et qu’il se proposait
de traduire et de commenter comme il l’avait fait pour le Martyre
de Pilate (voir plus loin, p. 3i) et, en partie seulement, pour le
Martyre de Salib qu’on lira dans les pages qui suivent. On connaît
l’importance des textes de cette origine, dont Galtier s’occupa
longuement, sur ma prière, pendant les dernières années de sa
vie. Mais, après réflexion, il m’a semblé préférable de ne pas
m’arrêter à ce dessein, puisqu’il ne s’agit que de simples copies,
sommairement annotées au courant de la lecture, qui n’ajouteraient
rien à l’œuvre strictement personnelle de Galtier. Ces feuillets sont
Il
déposés à l’Institut du Caire, en attendant qu’un arabisant les
reprenne et achève la besogne si tristement interrompue.
Les manuscrits de Galtier ont été imprimés tels qu’ils sont
sortis de sa plume, sans correction d aucune sorte. L orthographe,
souvent irrégulière, des fragments arabes a été respectée et reste
conforme à celle des originaux. Ces textes ont été revus sur les
bons à tirer par M. Akkouche, à qui j’adresse ici mes bien vifs
remerciements pour sa précieuse collaboration.
É. Chassinat.
/
ÉMILE GALTIER.
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS
— i o
I
LES TSIGANES D’ÉGYPTE ET DE SYRIE.
Von Kremer a recueilli et publié dans les Mittheilungen de Petermann (1) , sous
le titre de Die Zigeuner in Ægypten, un vocabulaire de leur langue qu’il consi-
dère comme une sorte de langue de voleurs, de «Rothwelsch». Ce vocabulaire a
été reproduit par Liebich (2) , dans son ouvrage sur les Tsiganes d’Allemagne.
Liebich, après avoir comparé attentivement les mots de ce vocabulaire avec ceux
du dialecte des Tsiganes d’Allemagne, conclut qua part l’aspect physique des
Tsiganes d’Egypte, qui offre quelque ressemblance avec celui des Tsiganes
d’Allemagne, rien ne permet de voir dans leur idiome un dialecte tsigane.
Malheureusement son opinion est complètement erronée, et je vais démontrer
que le dialecte dont Kremer a recueilli un vocabulaire peu étendu appartient
bien au groupe des dialectes tsiganes. Il me suffira pour cela de prouver :
i° que le vocabulaire recueilli par Kremer, appartient au dialecte parlé par les 7
Helebi d’Egypte; 2 0 que le dialecte helebi, quelque éloigné qu’il soit des dia-
lectes tsiganes occidentaux, puisqu’il est fortement pénétré d’éléments étrangers
au vocabulaire commun, et a, comme le dialecte tsigane d’Espagne, perdu
l’ancienne grammaire tsigane, est malgré cela un dialecte tsigane; 3° que par
suite le dialecte dont Kremer a recueilli un vocabulaire est un dialecte tsigane.
Une simple comparaison entre le vocabulaire de Kremer et le vocabulaire
helebi, recueilli en Égypte par Newbold suffira pour mettre en lumière la vérité
de ma première assertion. J’indiquerai aussi parfois les mots du ghagar et du
^ Petermanns Mittheilungen , 1862, cah. 2.
^ R. Liebich, Die Zigeuner in ihrem Wesen u. ihrer Spracke, 1 vol. in-8°, Leipzig, i 863 , p. 10-i i.
Cet article manque à Pott, Die Zigeuner in Europa und Asien, t. I, p. 1-26.
Mémoires , t. XXVII. 1
2
É. GALTIER.
nawar d’Égypte, qui sont identiques à ceux du vocabulaire de Kremer; comme
ces deux dialectes sont incontestablement tsiganes, ce sera une preuve de plus
qui confirmera ma démonstration.
KREMER.
HELEBI. GHAGAR. NAWAR.
eau
môge , himbe
hernbi , shiribni,
'parti
pain
schenub, bischïe
shemun, meshmul
père
àrüb , ab
garubi
mon père
àri ibi, abamru
mère, femme
kodde , pl. kadaid
ammamri
ma mère
koddeii
frère
sem\ chawïdsch
kuwidji
mon frère
senti
ton frère
semcik, chawïdschak
sœur
semait, ucht
ta sœur
semat-ak, uchlamrak
sem et semah signifient
aussi rr jeune garçon» et
rr jeune fille».
khawishti
nuit
ghalmüz
dâmud
cheval
sofilij , husânâisch
sohli
âne
zuwell
zowïlli
chameau
hantîf
huntif
buffle
eunafâchah
agneau
mizghâl , mingdesch , chur-
raf
arbre
chudruman , schagaraîsch *
mishgarek
viande
ddwâneh , mahzüz'ah
udwan
poule
en-nebbàsclieh
graisse
baruah
esprit, ange,
diable
aschüm
enfer
ma-anwàra = feu
megïmwara
allume le feu
add el-ma-anmara
datte
ma-ahli, mahalli
or
el-ma-asfar , mtdhâbesch
argent
bitüg
fer
hadidaisch
megow
blé
duhübi, duhûba
chasseur
dabâibi
sorcier
iuraij
pierre
hogger
hajjar
pays
anta, pl. anati
tante
arübeh
oncle
drüb
lait
raghwân, hirwân
millonisch , helwah
hnddi
kuddi
semach , hurdi
sohli y ghora
hunt , ashlr
sista
ragoon, raghebi , rowan-p.^^
chuti
3
mémoires et fragments inédits.
KREMER. HELEBI. GHAGAR.
NAWAR.
oignon
fromage
musannin, mubsalsche
el-mehariëmeh , mahrâteme
musunnum
lait aigre
durrah
atreschent, miscksck
handaivïl, mvggadèvïjek
meghidurrah
fèves
buhüs
chien
sannô
sunno
sunno
loup
couteau
dibâisch
el-chüsah
tellumeh
matwa, churi
chiri
(skr. churi
a couteau (1) »).
pied
darrâgeh, er-raghâleh, mu-
meschajat
tête
kamüchah, dumâcheh
œil
bas' s'as' eh, — huz'z'arah
hazarah
voleur
damâni
gowati
dumani, halo
main
sckammâleh — aussi cinq
nord
baharâisch
sud
kiblâtsch
est
scharkâisch
ouest
gharbâisch
café
rnagâswade
habit
sarme
soulier
merkubatsch
nez
zenünâisch
oreille
widn, mudânsche
wudn
ton oreille
widnamrak
vache
mub gars che
mubgurscha
bœuf
mutwânsch
mutwarish
fleuve
mistàbhar
mer, bhar
t
palme
minchalesch
tente
el-m ieh wàschesch
paille
tibnàiscK
chrétien
el-annâwi
ghirni
balamu
œuf
mugah'rada
majahaled
j
feu
allume le feu
le manger
sac
bras
le bras me fait
el-muganwara
walldisch el-muganwara
esch-sckimleh
migrâbesch
eUkemmàscheh
hemmaschlu wagaâni
cf. supra .
mal
cheveux
scharaisch
tabac
tiftaf
montagne
migbalesch
vilain
schalaf
beau
MU
^ Ce mot est, comme on le sait, passé dans l’argot sous la forme «■ surina
Il
É. GALTIER.
KREMER. HELEBI. GHAGAR. NÀWÀR.
va
fell JM
J a
j’allai
felleil
viens
eutib, igdi a > ootil
'8
il vint
gadat
dis
agmu, agemtu
assieds-toi
wâtib
frappe
ih'bîg
il frappa
Kabag
il frappe
h'abasch
nous mangeâ-
raccheina, schamaîna eshna, sheml
mes
il appela
nabbat
il tua
tena
il tue
jitni
je dormis
dammacht (cf. syriaque
dmech)
il dort
jidmuch
il va à cheval
jitalwan
il donne
jikij
il donna
kaf
il vole, il vola
ziknisch, kanasch
il fait , il fi t cuire
jitabbig, iabbag
il vit
haseb
il rit
biarrd
viens, il vint
tgdi, gadat
lève-toi
ütib
siège
ulcriz
il épousa
et kaddad, tiré de kodde
kuddi kuddi
« femme*.
NUMÉRATION (kREMEr).
1 mach
6 sntel
2 machein
7 sübi *
3 Mit, ou teïât mâchât
8 tümin
4 rubt, ou arbdah mâchât
9 lüsa*
5 chümis
10 uschir
Comme
on le voit, une grande partie du vocabulaire de Kremer (K) et
vocabulaire helebi (h) se compose de mots arabes
sous leur forme habituelle
défigurée :
(K) «sœur a, uchi, o^.!; «oreille a, widn , (K) «agneau», churraf, (K) «pierre fl,
hogger, (h) hajjar, (K) «fleuve fl, mistabhâr , (K) «allume fl, walla , Les noms de
nombre, à partir de 4, sont tirés de 1 arabe. L élément arabe est plus considérable dans le
helebi de Newbold : ( h) « soleil fl , chems , ; « lune fl , khamr , ji ; « étoile a , nejm, ; « air a ,
5
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS.
hawa, lyft; «ciel a, sema , «terre a, ard , «pluie a, matr , «neige», telj, gio;
« nuage a , rem, ^ ; « lumière a , nur, jy ; « montagne a , gebel, ^ ; « mer a , bahr, y s? ; « source a ,
ainf(&*;* sel», melh,£*\ «riz», ruz, j;; «lièvre», erneb, c-ô;t; «chat», ghutta, «porc»,
khanzir, «corbeau a, grab, «serpent», tabun, Jyô; «poisson», semek,
«doigt», sabaa, «oreille», wudn, y>\; «cou», rekb , M;; «tête», ras , jJj; «ventre»,
bain,
Les deux vocabulaires renferment des mots arabes augmentés du suffixe -isch :
(K) baharâisch «nord», (K) kiblâisch «sud», Cs M; (K) scharkâisch «est», «Jj-A;
(R) gharhâtsch «ouest», (R) husândisch «cheval», (R) schagaraiseh «arbre»,
(R) kadidaisch «fer», (R) dibàisck « loup », ^ ; (R) merkubaisch «soulier»,
(R) tibmisch «paille», (^5 (R) scharaisch «cheveux», Le vocabulaire helebi offre seu-
lement le mot aswadisch «noir», tyJ, mais il suffit à démontrer que cette formation ne lui
est pas inconnue.
D’autres mots arabes sont augmentés d’une syllabe variable, en ma -, maga-,
meghi -, mw- :
(R) el-ma-asfar «or» = yus>l «jaune»; (R) muggadêrïjeh = (h) meghidurrah «durrah» =
(R) magaswüde «café» = $y*»\ «noir»; (R) mu-meschajat «pied», de «marcher»; (R)
ma-anwara = (h) megimwara «feu » , de ^b « feu », et en helebi miskgarek « arbre » , byte .
D’autres mots arabes sont augmentés de ma — isch, dans Kremer et le helebi :
(R) midhâbesch «or», (R) mubsalsche «oignon», (K) mubgarsche «vache»,
jjo — (h) mubgurscka ; (R) mulwàrisch «taureau», ^y — (h) mutwarish . Comparez encore :
(R) minchalesch «palme», Jjtf; (K) machschabesch «bois», (R) migbalesch «mon-
tagne», J***, et les mots helebis : mebradtsch «froid», 2 >^b; mahrarisch «chaud», Jla.; niusfta-
rish «orge»,^wfc£»; menakrisch «jour», ^l<p.
j
Enfin, certains mots qui paraissent empruntés à un idiome du sud de l’Arabie,
sont identiques en helebi et dans Kremer :
(R) himbe «eau», (h) hembi ; (R) schenub «pain», (h) shemun; (R) c arüb «père»,
(h) garubi; (R) ckamdsch «frère», (h) huwidji et (h) khawishti «sœur»; (R) sohîlij (j ==y) «che-
val», (h) sohli ; (R) zuweïl «âne», (h) zowilli ; (R) adwâneh «viande», (h) udwan; (R) hirwân
«lait», (h) helwah; (R )musannin «oignon», (h) musunnum; (R) mugah'rada «œuf», (h) maja -
haled ; (R) fell «va», (h) fill; (R) eutib «viens», (h) ootil ; (R) schamaîna «nous man-
geâmes 1 », (h) sheml= nourriture, meshmul «pain».
Ce mot se retrouve chez les Beni-Addès d’Algérie : «Que manges-tu?» se dit ach teclimel?
6
É. GALTIER.
Nous pouvons donc conclure avec certitude que le vocabulaire recueilli par
Kremer est le helebi d’Égypte ou un dialecte helebi^.
Il me reste à prouver que le helebi est un dialecte tsigane. Le fait que, pour
désigner l’eau, le helebi dit siribni en serait déjà une preuve assez forte; siribni
n’est autre que l’arabe sirib augmenté du suffise -ni connu de tous les dialectes
tsiganes et qui sert à former les féminins, comme cela a lieu en hindoustani.
Mais heureusement que le helebi, quelque corrompu qu’il soit par l’intrusion
de nombreux éléments étrangers, a conservé parmi les mots recueillis par
Newbold un certain nombre de mots tsiganes, et, sans aucun doute, nous en
trouverions un bien plus grand nombre si nous possédions un vocabulaire
complet du helebi. Je citerai d’abord le mot pani, «eau» en helebi, mot qui
se retrouve à la fois en Orient et en Europe, le mot churiya «oiseaux» (comparez
l’hindoustani chiriya ), qui existe en Europe sous la forme ciriklo (Grèce) « oiseau »,
cerikli (Roumanie), ciriklo, féminin : cirikli (Hongrie), cirkulo (Allemagne),
cyriklo (Pologne, avec l slave), ciriklo (Russie), ciriklo (Italie), cériklo (Angle-
terre), ciriklo , cirikli (Espagne) et suria dans le tsigane du pays basque, du skr.
ciri «perroquet».
Le helebi huntïfn chameau» se retrouve en ghagar, hunt, et dans le vocabulaire
de Kremer; les Tsiganes occidentaux ont perdu ce mot. En ce qui regarde la
finale-/, comparez guru «bœuf», guruf; suna «chien» et sunuft.
Le mot sannô «chien», qui existe chez Kremer sous la forme sannô, se dit
en helebi sunno, en ghagar sunno. Il existe également chez les Tsiganes de
Perse et s’oppose au dluklo du tsigane occidental.
Je citerai encore le mot helebi bndi «pudendum muliebre», en nawar bud.
Ce mot existe en Europe sous la forme bul «anus» et «pudendum muliebre»,
dans le vocabulaire de R. Vulcanius, qui est un des plus anciens vocabulaires
du tsigane, bul, ml (grec), bul, bhul (hongrois), bül (russe et espagnol), huit
«orifice, anus» (roumain), bulindra «prostituée» (roumain), buli «pudendum
muliebre» (sanscrit); le ghagar dit minchia «pudendum muliebre», qui existe
en Europe sous les formes mindï (grec), mij, miji (roumain), mindî (hongrois),
mins, mirull (anglais), minci (espagnol). Cf. skr. mih, pâli mëha, lat. meiere
(d’après Pott, op. cit., II, p. 95).
(1) Il est à noter que dans le vocabulaire de Kremer le g se prononce à l’égyptienne bogger,
migbalesch, schagaraisch , et à la syrienne dans celui de Newbold, hajjar, telj , nejm, à côté de gebel et
de mishgareli, ce qui démontre que les Helebis sont originaires de Syrie, comme l’indique
leur nom c_aAa.,
7
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS.
Enfin le mot «village» est traduit en helebi par gaouli ; il paraît dans le
dialecte* ghagar sous la forme gao, qui correspond au tsigane européen gav
(grec), gau (roumain), gav (hongrois et tchèque), gâb (allemand), gav (Scan-
dinave et anglais), gau (polonais et espagnol). C’est l’équivalent de l’hindoustani
gao, skr. grâma, pâli gâma.
Le dialecte helebi et le dialecte de Kremer sont donc des dialectes tsi-
ganes d’Égypte. Les Tsiganes d’Égypte se divisent en Helebi, Ghagar et Nuri
(Nawar).
Selon Newbold, les Helebi ont leurs pérégrinations confinées dans la vallée
du Nil et le Delta ; quelques-uns suivent cependant parfois les pèlerins de la
Mecque. Au Caire, on les trouve pendant le printemps et l’hiver suria droite de
la route qui va du Caire à Choubrah; ils prétendent venir du Yémen et de
l’Hadramaout et avoir leur histoire écrite dans le Us se donnent le
nom de (jàlsXsî que Newbold n’a pu expliquer. L étymologie en est facile ,
cependant, en retranchant les additions ma- et -as, il nous reste 1 élément
j 5 qui indique que ces tribus ont dû venir de la Syrie. Ils se divisent en
quatre tribus, Balatieh, Surutieh, Shoeiha (?) et Hameidat. Quelques-unes de
leurs tribus auraient pénétré d’Égypte en Abyssinie.
Les Ghagar ressemblent physiquement aux Helebi et aux Kourbat de Syrie,
et errent en Égypte durant l’été. Au Caire, ils habitent un endroit appelé le
Hos-el-Ghagar, derrière la mosquée du sultan Hassan; ils sont forgerons et
étameurs. Une autre colonie que signale Newbold comme habitant le Vieux-
Caire fournit des Pehlewan. Les Ghagar savent qu’ils ont des freres en Hongrie
qui parlent leur langue plus purement qu’eux, ce qui est exact; leur langage est
celui qui a le plus de rapport avec celui des Tsiganes d Europe.
Les Nuri (Nawar) sont des voleurs de profession; on les employait du temps de
Newbold comme gardiens.
Le mot nawar désigne en Palestine les Tsiganes; dans le nord de la Syrie ils
se nomment Kourbat, Roumeli, dinganih, AibCo».; ils mènent
une vie nomade en été et campent en hiver près des villes. Le chef d’une bande
dit à Newbold qu'ils habitaient la Syrie depuis la création, quoique selon une
tradition reçue de leurs pères ils fussent venus de l'Inde. Selon eux, les nomades
appelés Dumans sont leurs cousins^*.
ll] C'est l’histoire, non pas de la cruche, jij, mais de Zir Salem, à ce que j’ai appris, ouvrage
populaire arabe bien connu.
2 Le vocabulaire duman donné par Nïwbold, The gypsies of Egypl, prouve, en effet, que ce
dialecte est tsigane.
t
4
8
É. GALTIER.
Les conclusions qui se dégagent de cette étude sommaire de quelques dialectes
tsiganes d’Orient sont les suivantes : les dialectes tsiganes orientaux semblent se
distinguer des dialectes européens par quelques particularités lexicograpbiques
assez importantes (1) , qui ne permettent pas de voir en eux une branche des
Tsiganes occidentaux, mais un groupe de tribus depuis longtemps séparé des
Tsiganes d’Europe, peut-être même une branche collatérale' 2 ’. En ce qui
concerne la pureté de la langue et du vocabulaire, les dialectes européens l’em-
portent de beaucoup sur les dialectes orientaux, dont le vocabulaire, autant
qu’on en peut juger par les documents encore insuffisants recueillis en Orient,
est, sauf en ce qui concerne les Ghagar d’Egypte' 3 ’, mélangé à un degré extra-
ordinaire d’éléments étrangers, et dont plusieurs ont complètement perdu la
grammaire tsigane, comme par exemple le djongi de Perse ' a ’, le helebi d’Egypte,
le tsigane de Tokat (Asie Mineure) et le Beni-Addès d’Algérie. Ce phénomène est
dû, sans aucun doute, à ce que les Tsiganes d’Orient ne forment pas de groupes
de populations compactes comme c’est le cas pour les Tsiganes de Roumanie et
de Hongrie , d’où se sont détachées à diverses époques et se détachent encore les
bandes de nomades qui parcourent l’Europe (5) , mais de petites troupes errantes
chez lesquelles la structure grammaticale a disparu la première, et dont le
vocabulaire est allé se corrompant de plus en plus. Il serait bien désirable que
l’on eût pour les Tsiganes d’Orient l’équivalent des documents que l’on possède
pour ceux d’Europe, et que les savants européens qui, en Perse, en Egypte,
dans la Turquie d’Asie et le Magreb, sont à même de les recueillir, voulussent
bien prendre la peine d’interroger ces nomades; ils rendraient un service signalé
aux études tsiganes qui, depuis les travaux de Pott, de Miklosich, et de l’archiduc
Joseph' 6 ’, sont à peu près stationnaires en ce qui concerne le fond général de la
doctrine.
W Cf. Paspàti, Étude sur les Tsckinghianés ou Bohémiens de V empire ottoman, 1 vol. in~ 4 °, 1870,
Constantinople p. 1 18-1 2 5 .
Cette conclusion était déjà celle de Rataillard, cf. Revue critique, 1870, II, p. 3 oi.
Si j’en crois certains renseignements, les Ghagar d’Égypte ne seraient qu’une tribu de
Tchinghianés émigrés de Constantinople, il y a un siècle ou deux, ce qui expliquerait la pureté
relative de leur dialecte.
C’est ce que prouvent les quelques phrases recueillies par M. J. de Morgan.
J’ai vu, dans mon enfance, une de ces bandes, comprenant environ deux cents personnes,
qui était venue de Hongrie jusque dans la Rouergue et, il y a deux ans, une ou deux familles qui
revenaient d’Espagne et retournaient à Constantinople.
^ Je fais allusion à la grammaire comparée des dialectes tsiganes composée en hongrois par
l’archiduc Joseph : A csigany nyelvtan ; il en existe une traduction allemande.
4
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS.
9
BIBLIOGRAPHIE' 1 ’.
0
Richardson, An account of the Bazeegurs , a sect commonly called Nuts (Asiatic Researches,
London, 180 3 , VII, p. 4 51-/179); cf. Pott, Die Zigeunerin Europa und Asien , t. I, p. 17.
Irvine, On the similitude beiween thegypsey and kindoostani language ( Transact . of the lit . Society
of Bombay, 1819); cf. Pott, ibid., t. I, p. 20.
Ousely (W.), Travels in varions countries of the East, more particularly Persia, London, 1 82 3 ,
t. III, p. 4 oo (donne des mots du dialecte qoratschi de Perse).
Pott (A. F.), Die Zigeunerin Europa und Asien, 9 vol., Halle, i 844 -i 845 .
Pott (A. F.), Uber die Sprache der Zigeuner in Syrien ( Zeitschrift fur die Wissenschaft der
Sprache , Berlin, t 846 , t. I, p. 175-186).
Seetzen, U. Jasper, Reisen durch Syrien , Palaestina , Phônicien, die Transjordanlànder , Ârabia
Peiraea und Unter-Ægypten , Berlin, i 854 , t. II, p. 18/1-189 (vocabulaire du dialecte des Tsi-
ganes de Syrie); cf. Pott, op. ctL , t. I, p. 20.
Newbold, The Gypsies of Egypt ( The Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain and
Ireland , London, i 856 , t. XVI, p. 285-3i2; vocabulaire helebi, ghagar et nawar d’Égypte,
duman et kurbat de Syrie, et un petit vocabulaire du dialecte tsigane de Perse).
Proceedings of the Roy . geogr. Soc . of London, i 856 , n° 2 , p. 37-/11.
Gobineau, Persische Studien, I, Die Wanderstâmme Persiens [fZeits, d. deutsch . Morg. Gesellsckafl,
t. XI, 1857, p. 689-700).
Paspàti (en grec), dans la Nouvelle Pandore, n° 178-182, et le même mémoire augmenté
par le R. C. Hamlin, Memoir on the language of the Gipsies as now used in Turkish empire ( Journ .
of the American Oriental Society, 1 862 , t. VII, p. 1/13-270. , »
E. Trumpp, On the language of the so-catted Kâfirs of the Indian Caucasus ( Journ . of the Rôy .
Asiatic Society of Great Britain and Ireland, vol. XIX , p. 1 -3 0, London , 1 8 6 2) ; cf. Zeits. d . deutsch .
Morg . Gesellschaft, t. XX.
Paspàti, Étude sur les Tsckinghianés ou Bohémiens de F empire ottoman, 1 vol. in- 4 °, 1^870,
Constantinople (donne aussi des vocabulaires des Tsiganes d’Asie Mineure).
Narses Sàbkisiàn, Topographie de la Grande et Petite- Arménie , 1 864 (en arménien), p. 81-82 ,
donne un vocabulaire des Tsiganes d’Arménie, reproduit dans Miklosich, Beitrâge zur Kenntniss
der Zigmnermundarten, IV, p. 4 o- 4 i.
j ..v , nmv îniuet,, i^uuun , /janmar, etc., a voi.,
ahore, 1868 (?), vol. I, partie I— IV , donne un vocabulaire comparé des idiomes dardu qui,
avec le kâfir, forment un groupe voisin du tsigane; cf. Miklosich, Beitrâge zur Kenntniss der
fàgiMnermundarten, IV, Wien, 1878, p. 45 - 54 .
.. ^^^°£ r ^phie sommaire doit être complétée par Y Orientalische Bibliographie , le Journal
ofthe Gypstes , Lowe Society , etc. On trouvera une bibliographie de ce qui concerne les Tsiganes dans
la grammaire hongroise de l’archiduc Joseph.
Mémoire t , t. XXVII.
*
II
LE DIALECTE DES DJOUGI ET DES GOOUDARI
DE PERSE.
Dans ses études linguistiques sur les dialectes de la Perse moderne,
M. J. de Morgan a recueilli deux vocabulaires peu étendus de deux dialectes par-
lés par des nomades des environs d’Asterabad, appelés les uns les Djougi et les
autres les Gooudari (,) . L’auteur déclare s’être informé auprès de ces nomades
de leur origine, sans qu'ils aient pu lui donner à ce sujet aucun renseignement.
Un examen des deux vocabulaires nous permettra facilement de déterminer le
groupe linguistique auquel appartiennent ces deux dialectes et par suite de
donner quelques renseignements sur l’origine de ces nomades.
Nous devons dire, tout d’abord, que ces deux vocabulaires ont été recueillis
avec assez peu de soin : ainsi un même mot traduit dans le dialecte gooudari
des mots désignant des animaux absolument différents. On y lit, en effet : n° 33 ,
«tigre», darendè; n°34, «léopard», darendè; n°35, «loup», darendè; n°38, «re-
nard», darendè; ailleurs, le mot hôkorà désigne à la fois: n° 28 , la ehevre, n° 29 ,
le mouton, n° 3o, la brebis. Quelque pauvre que l’on suppose le vocabulaire de
ces nomades, il est absolument impossible d admettre une confusion semblable
entre des animaux aussi différents que le tigre, le renard, le léopard et le loup.
Ailleurs (n° 3 1 ), on donne comme appellation du chevreuil en gooudari: djanovar .
Ce mot n’est autre que le persan qui signifie «animal». On ne voit pas
comment le mot persan «animal» se serait spécialisé chez les nomades au sens j
de «chevreuil» ; le dialecte goudji donne ahon, qui est le persan jj&l «chevreuil».
Il semble donc qu’il y ait ici quelque méprise, et que le Gooudari à qui l’on
demandait en persan le nom correspondant à «chevreuil » a purement et sim-
plement répondu : «c’est un animal», djanovar. Ces erreurs ne surprendront pas
les personnes qui ont eu l’occasion de recueillir des vocabulaires analogues à
celui-ci auprès d'individus illettrés. J’en citerai un exemple pris dans le vocabu-
laire des Ghagar d Égvpte recueilli par le capitaine Newbold : on y lit, en effet,
à un certain endroit : boat «bateau», en helebi markab, en ghagar sutür. 11 est
clair que M. Newbold a voulu demander comment on disait un bateau, merkeb,
111 J. de Morgan, Mission scientifque en Perse, t. V, 1 " partie, p. 3o4-3o7.
2 .
12
É. GALTIER.
que les Helebi lui ont répondu par l’arabe merkeb, au sens de «monture», et
les Ghagar sülür, qui est persan et signifie « chameau ». J’indiquerai encore un
autre mot du vocabulaire qui est certainement erroné : c’est le mot dodâ (n° 20),
qui est traduit par «frère». Si nous remarquons, en effet, que le mot «mère»,
nanè, est emprunté au taliche nânâ, que «père» se dit moness-bili, et «sœur»,
khor-biti, nous serons amenés à corriger nécessairement «père» en «frère» pour
moness-bili, à lire pour dodâ «père», au lieu de «frère», et à voir dans ce
mot un emprunt fait au dialecte taliche, où «père» se dit dada. Après ces re-
marques préliminaires, passons à l’examen du vocabulaire.
Le vocabulaire des Djougi et des Gooudari renferme, comme on peut s’y
attendre a priori, un grand nombre d’éléments persans. Il serait trop long
d’examiner ici, l’un après l’autre, les mots du vocabulaire djougi recueillis par
M. de Morgan, et qui sont en nombre plus considérable que ceux du vocabulaire
gooudari, dont M. de Morgan n’a recueilli que quatre-vingt-onze mots. Nous
citerons simplement la numération gooudari et djougi en la rapprochant des
noms de nombre recueillis en Perse par M. de Gobineau (l) , chez une tribu
semblable de nomades.
VOCABULAIRE
GOOUDARI.
DJOUGI.
DE GOBINEAU.
GOOUDARI.
DJOUGI.
1
yékan
jakôd
yehat
12
devazdahot, etc.
2
dôkan
douhôd
douhat
20
bisyekan
bistahot
3
sêkan
sohod
sehhat
30
siekan
syhot
h
tchaharkan
tchorhôd
tscharhat
40
ichehilhot , etc.
5
pehdjhot
penschhal
100
sadiakan
sadhot
6
chichhot
scheschhat
1000
hézorhod
7
hâfthôt
hefhal
1"
yakhod
8
hachhôd
keschhat
2°
douhod
9
nohod
nohhat
moitié
nimyakan
nim
10
dayakan
dahôd
dehhat
quart
roubyakan
1 1 yazdahot
On reconnaît tout de suite que cette numération est empruntée au persan,
avec l’addition d’un élémenj -hot, bat en djougi , -kan en gooudari. Gela est prouvé
par la numération des Ghagar et Helebi égyptiens qui ont conservé , à peu de
chose près, la numération primitive de ces tribus nomades.
W De Gobineau, Persische Studien, dans la Zeits. der deutsch. Morg. Ges., XI(i 857), p. 696 . M. de
Morgan n’a point connu cet article.
A
13
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS.
HELEBI.
ghagar (d'après Newbold).
1
ek
ek
2
dut
dui
3
dui ek
dui ek ou sih (= persan sih)
4
car
dui fi dui = 2+2
5
penk
penk
6
penk ek
penk ek (5 + i )
7
penk i dui
penk fi dui ( 5 + 2 )
8
ister
hesla (persan hest)
9
now ou penlc t dui fi dui = 5 + 2 + 2
enna
10
des ou des
das, des et dch (persan s.* , deh )
L’on remarquera que, tandis que le persan dit^l^e*, cahar et sô, deh, où
le s représente un t primitif (cf. le sanscrit catvâras, où un son primitif cor-
respondant au sanscrit ç,daça «dix»), les dialectes helebi et gbagar ont dans
Sar perdu l’aspiration et conservé la sifflante de das, comme le fait l’hindous-
tani : «quatre», car, j l^., et das «dix». Quant aux mots «moitié», nimyakan-,
«quart», roubyakan, ce sont les mots persans |fÿ, mm, et arabe augmentés
du même suffixe kan.
En outre de la numération empruntée au persan, les Djougi et Gooudari ont
emprunté au vocabulaire persan un grand nombre de mots qui ont remplacé
les mots disparus de leur propre dialecte : l’élément persan est surtout considé-
rable dans le vocabulaire djougi. Dans le vocabulaire recueilli chez les Gooudari
je citerai les mots suivants :
Le «lièvre», Icliargous; la «souris», mouch ; le «chat», gorba; la «pierre», seng (cf. mazen-
derani sert, senk, seng, ghileki sônk, persan sengy, l’«or», tela (maz. tdla , telà, gh.
lôlu , taliche tôle, télé, persan SÜ»): le «lait», sir (maz. chir, khir, chir, chdt'j ; IVœuf», spï. Ce
mot me paraît tiré du taliche ispi, sepî (maz., gh. espè, esbï, ispè) , c’est-à-dire «le blanc».
C’est une appellation forgée par les nomades et tirée par eux d’un adjectif
persan dialectal. S’il paraît surprenant que le mot «blanc» ait servi à désigner
l’œuf, on n’a qu’à se rappeler qu’en kabyle zouaoua, l’œuf se dit de même
thamellalt, plur. thimellalin, «la blanche», de la racine MLL; comparez amellal
«blanc», «être blanc», melloul, «blancheur», themlel, « blanchir » , smellel. C’est
par un procédé sémantique analogue que le mot persan sirin, «doux», a
été employé pour désigner le «sucre», en gooudari, tandis que les mots corres-
pondants en mazenderani et ghileki sont chaker, chekhar, kant, rhont. De même,
en djougi, le mot persan surkh «rouge», a pris le sens de «braise».
Je citerai encore parmi les emprunts persans, le «fleuve», rouvor, qui est le
14
É. GALTIER.
ghileki rôvor, et les mots djanôvar « chevreuil (?)», et darende qui est le persan
tàsljô « rapace», dont il a été question plus haut, comme traduisant indiffé-
remment, le ccloup», le « tigre », le cr renard», le ce léopard».
Ces éléments étrangers une fois éliminés du vocabulaire gooudari, il reste
un certain nombre de mots dont l’origine n’est pas très claire, et qui sont peut-être
propres au dialecte gooudari, mais dont je ne puis donner les correspondants
dans les autres dialectes de la même famille. Néanmoins, le résidu linguistique
nous offre un nombre d’éléments suffisants pour déterminer avec certitude le
groupe linguistique auquel appartiennent le gooudari et le djougi. Ces deux
dialectes ne sont nullement des dialectes persans, mais des dialectes tsiganes.
Les Gooudari et les Djougi de Perse, comme les Tchinganées de Turquie les
Zigeuner d’Allemagne, les Zingari d’Italie, les Gitanos et Ciganos d’Espagne
et de Portugal, les Gipsies des îles Britanniques, parlent un dialecte de cette
langue dérivée du pracrit dont se servent entre eux ces nomades qui sont
répandus dans l’Europe entière, de Constantinople en Espagne, et en Afrique
depuis l’Egypte jusqu’au Magreb. C’est ce que démontrent les mots suivants.
L’« homme » së dit en gooudari mâness , en djougi mâness . M. de Gobineau, dans le petit
vocabulaire recueilli par lui en Perse, donne mânes , le tsigane d’Arménie dit manus . Ce mot,
que tous les Tsiganes d’Europe comprendraient, est le sanscrit manusa . Les dialectes persans
emploient au contraire le mot mari, remontant à une forme zende, qui est l’équivalent du
sanscrit mrta-s, grec apëpoTos. Les formes tsiganes européennes sont : Grèce, manus; Rou-
manie, manus; Hongrie, manul; Bohême, manus; Allemagne, manus; Russie, manüs ; Suède,
manus , manus; Angleterre, manüs; Espagne, manu . Sur ce mot manus , les Tsiganes ont formé le
féminin manusni « femme»; comparez la formation féminine hindoustani en -ni, bagh «tigre»,
baghni «tigresse».
La «femme» se dit en gooudari damini . Ce mot n’existe pas en djougi et est remplacé par
djeved => djevid (de Gobineau), sur lequel je vais revenir. Damini me paraît l’équivalent du tsigane
européen romni « femme » , féminin de rom « homme » (2 b Le mot rom existe dans tous les dialectes
W Comme on le sait, tous ces mots dérivent d’un mot grec dr^lyuavos, ro-lynavos, dérivé lui-même
du grec kdlyyavos , qui désignait une secte chrétienne bannie de l’empire byzantin au ix e siècle,
dont le nom fut donné aux Bohémiens, quand ils apparurent pour la première fois à Byzance;
cf. Miklosich, Uber die Mundarten u. die Wanderungen der Zigeuner Europa's , VI, p. 67. Les noms de
Gipsy, Egyptiens, TvÇtos, Gitanos, sont dus à ce qu’on les croyait ou à ce quils se disaient
originaires d’Egypte : ainsi, en 1417, une bande apparut en Suisse, dont le chef se faisait appeler
le duc Michel d’Égypte; les archives de Millau (Aveyron) renferment une délibération des consuls,
sous Louis XI, au sujet de l’autorisation d’entrer en ville que sollicitait une bande de ces nomades,
dont le chef prend le titre de duc de Thunes.
^ On trouve les formes rumini, rammenin dans Miklosich, Beitrâge zur Kenntniss der Zigeuner -
mundarten , III, p. 18.
4
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS. 15
tsiganes d’Europe, mais en Asie on ne ie trouve que dans les Tsiganes de Tokat sous la forme
lom Les mots mâness et damini s’emploient aussi pour «mâle» et «femelle» et n’ont en ce
sens aucun rapport avec leurs équivalents iraniens : kurde nir, ner, nier; persan y, ner;
pehlvi nar; ossète nal, mie «mâle»; kurde mû, ma, mâia ; pehlvi mai; persan mûdeh,
• Ce mot mâness se retrouve encore en gooudari dans l’expression pir-i-mâness «vieillard»,
où M. de Morgan a cru voir le mot persan pir «vieux», uni par l’izafet à mâness. Je crois quil
faut plutôt y voir l’adjectif tsigane püro + manus «vieil homme»; tsigane de Grèce, purô,
phuro «vieux»; Bohême, phuro, phuri ; Pologne, puromni «vieille femme» == pun romni,
p Uro = skr. vüddha; prakr. vuddha; hindoustani bürhâ «vieil homme», burhï «vieille femme».
L’équivalent de romni, dans Gobinau, djeved, djevid «femme», est le tsigane européen dïuvel
«femme», grec dzuvél, roumain zuvli, hongrois dzuvli, allemand cuvli, russe dzuli, «vieille
femme», anglais dzuvel, syrien djüri (Miklosich, op. cit., VII, 52 , d après Seezen), mais
je crois qu’il faut lire dzuvi, c’est le skr. yuvati «jeune fille»; latin , juvenis ; irlandais, og;
allemand , jung. ...
L’« œil » se dit en gooudari akon W, en djougi nouhour = nour (Gobineau). Les dialectes iraniens
sont dérivés d’une racine différente : kurde tchao, zend tehachnum, persan tchesm, Akon
est évidemment dérivé d’une racine *ak : le tsigane occidental offre dans tous les dialectes
la forme jak, sauf en Hongrie akh, à côté de jâk, et dans le pays basque aka, le ghagar et le
nawar d’Égypte ont la forme ankhi, le tsigane d’Arménie aki. C’est le skr. aksi, pâli akkhi, sindh.
akhi, akhe. Pour l’équivalence de ks skr. et kh tsigane, cf. Miklosigh, Beitrâge zur Kenntniss d.
Zigeunermundarten, Wien, 187A, I-II, p. 19. Pour ja = skr. a, cf. skr. agni - tsigane jak
« feu » ; javer « antre » = sk. apara .
La «faim» se dit en gooudari pekeré . Ce mot doit être rapproché du tsigane grec bok, la
«faim», roumain bok, bohémien bokh, allemand bôk, espagnol boké, et d’où l’adjectif bokalô
«affamé». Le tsigane de Syrie, d’après Pott, dit bkâla. C’est le sanscrit ( bujbhuksâ , hindoustani
bhükh.
Le gooudari khalür , la «viande», est probablement l’équivalent du djougi khalon «pastèque»,
dont le sens primitif est «ce que l’on mange, aliment», du verbe chava, chai «je mange, il
mange », ayaliden « manger » (Gobineau) , tsigane arménien yaliw « viande », yatel u « nourriture »,
cha~be «nourriture», et avec le suffixe -ori, chal-ari pour chalori (italien) «un peu de pain».
Sanscrit khàd, prâcrit khâ, (hindoustané) khâ-na «manger».
Tel «graisse» en gooudari, tsigane arménien k’el «huile», est le tsigane grec kil «graisse,
beurre»; roumain khil «huile, beurre»; hongrois khil t’hil «graisse, beurre»; bohémien
ihil; allemand kil «beurre»; anglais kil ; espagnol kir . Le tsigane de Tokat dit kül, kür , gur,
kir, pir, avec le sens de «lait». C’est Thindoustani tel «graisse», du sanscrit ksïra, pâli khîra.
Sur le skr. ks = tsigane kk, cf. Miklosich, Beitrâge zur Kenntniss der Zigeunermundarten, I-II,
p. ig-ai.
Le gooudari arât « nuit » est le djougi nom-arat; il est des plus caractéristiques , car les dialectes
iraniens tirent le mot d’une racine différente : persan, cheb, taliche, chao, chango ;
kurde, chow, chao . Ce mot existe au contraire dans tous les dialectes tsiganes occidentaux,
• 1} B. Vulcanius, qui a recueilli le plus ancien vocabulaire tsigane, donne la forme achan, apud
Miklosich, Beitrâge , I, II, p. to.
16
É. GALTIER.
sous les formes ralt, rati, ratti, raleh, raati, raci , aroéH'l Paspati donne la forme arâtt pour
le tsigane d’Asie Mineure. Les Ghagar d’Égypte disent rata, les Kurbat de Syrie arat (les
Dumans de Syrie ont show, tiré du persan). Ce mot est l’hindoustam rat, le smdh. rate, pracnt
ratR, sanscrit râtri.
Le «cheval» se dit en gooudari gorâ «cheval, mulet» = ghora (Gobineau) = ghora
(Newbold). Ce mot est le tsigane roumain gara «cheval», garant «jument»; espagnol, goro
«poulain»; tsigane d’Asie Mineure, agôri, agora «cheval»; Syrie, aghora, ghora (Seetzen),
agora (Ousely ) ; ghagar, ghora. C’est l’hindoustani ghora, skr.ghota. Il esta noter que la majorité
des Tsiganes européens se sert du mot gras, grast, graj, espagnol graslé, tiré de 1 arménien
grast «bête de somme», et que ce mot est inconnu aux dialectes orientaux.
Le «bœuf» se dit géri en gooudari, la «vache» gerl, le «buffle» gen: en djougi, gouri est le
« bœuf» et gouri-made, la « vache » = « bœuf femelle » du persan #àU- Miklosich , d après Paspati ,
donne goruf «taureau» pour l’Asie Mineure, goorur, goru «vache» pour la Syrie; le ghagar
et le nawar ont goru (Newbold), le kurbat a pour la «vache» goru, pour le «taureau» goruf et
tnaïa-goru (Newbold). 11 y a ici une erreur évidente et mdia-goru ne peut désigner que la vache.
Le tsigane européen dit : guruv, guri (Grèce), guruu (Roumanie), guru, guruv (Hongrie),
guro, gurub, gurumni (Allemagne), gruj, gorbi (Espagne). Miklosich rapproche le bengali goru.
L’hindoustani dit bail J*?, féminin ga’e. Les dialectes iraniens ont : kurde, gâ, go, gâw;
pehlvi, gaw; persan, gav ; ossète, gai.
Bôkôra en gooudari désigne le mouton, la chèvre, la brebis. Le tsigane de Perse dans
Newbold est èara(?), bakra «mouton». Le tsigane d’Asie Mineure dit bakâra (Paspati), celui
de Syrie bakra, backrah « agneau» (Miklosich). « Sheep » est traduit dans Newbold par bakra pour
le ghagar et le nawar; le tsigane d’Europe dit bakrô «mouton»; bakri (Grèce et Roumanie),
bakro «bélier» (Hongrie, Bohême, Pologne, Russie); bôkro «brebis» (Angleterre), braki
(Espagne). Gf. Thindoustani bakra, bakri «chèvre» ; dekhani, bakrâ «brebis».
Le gooudari baldi «sanglier» paraît être l’équivalent du tsigane bâlo «porc», féminin bail,
qui existe dans tous les dialectes. Les dialectes iraniens ont un mot différent : kurde , bôraz,
baras, waras, v. persan, varaza ; kurde, khouk, khou ; persan, dÿ- ; arménien : khoz ;
ossète, khonj .
Le djougi mona , «pain a, se retrouve dans Gobineau sous la forme meno et en Asie Mineure
sous la forme malav (à Tokat) et mena (Paspati). C’est le tsigane occidental manro, marno,
maro, mando, du pâli manda, selon Pott, op. cit., II, hh o, skr. mandha.
L’«eau» se dit en gooudari onîom, forme suspecte, car Gobineau donne pour le tsigane de
Perse puno, Newbold, panow ; le djougi dit pouno, le ghagar d’Égypte pani, le kurbat de Syrie
pani; le douman how et le nawar d’Égypte ooh, sont empruntés à un dialecte iranien. Paspati
donne bani, pal pour l’Asie Mineure. Tous les dialectes européens ont le mot pani. C’est l’hin-
doustani pânï, le sindhi pânï, le skr. pânîyâ-m «eau».
U) On a la formule lachira tut = lachi rat tute «bonne nuit à toi», dans le plus ancien texte tsigane
imprimé (i54a), apud Miklosich , Beitrüge, I II, p. h. Dans la première phrase loch ittur ydyves « good
morow », où Miklosich voit laci tutti dives «bonus tibi dies», je verrais plutôt laco tiro dires «(sh) bonus
tuus diesïï.
MÉMOIRES ET FRAGMENT INÉDITS. 17
Quelques mots qui sont certainement tsiganes n’ont pas de correspondants dans les dialectes
européens. Ainsi le «sel» se dit choureki en djougi, chûrkani en gooudari, schouréki en persan
(Gobineau). Le ghagar d’Égypte dit Ion et iraki, le kurbat de Syrie Ion, qui est l’équivalent du
tsigane occidental Ion. Paspati donne lohn pour l’Asie Mineure ; skr. lavana.
L’«œuf» se dit en djougi tünoi, la «poule» thünoi. Newbold donne anai, tanai «œuf» (Perse),
le kurbat de Syrie ano; c’est l’équivalent de jaro «œuf», (Allemagne) anro, andré, antru;
tsigane d’Asie ani ( Miklosich (1) , d’après Paspati, Ousely, Seetzen): nr = n, cf. meno « pain » —
manro; grec, vando, vanrô, amô ; roumain, anro; polonais, jaro; russe, jaro; Scandinave,
jaro; anglais, yôro; espagnol, anro; arménien, anlô, du sanscrit anda.
Un des mots les plus curieux des dialectes tsiganes orientaux est le mot chien. Le «chien»
en tsigane européen se dit dzukél (Grèce), zukol (Roumanie), dzukal, dzuklo (Hongrie), dzukel
(Bohême), zukklo (Allemagne), dzukel (avec l slave, Pologne), dzukel (Russie), juklo (Scan-
dinavie), dzukél (Italie), cukel (Espagne), iuket dans le vocabulaire recueilli par B. Vuïcanius,
dzukal (en Sibérie, gouvernement de Tomsk), du sanscrit jakuUt.
Les dialectes orientaux ne connaissent pas ce mot : ainsi le gooudari dit sôna , le djougi
sounouft, le helebi d’Égypte sunno, le ghagar d’Égypte sunno, le dialecte recueilli par Kremer
sannô. Le kurbat et le duman de Syrie emploient suruntu et kuchek. Ce mot me parait issu du
sanscrit çvan « chien», forme faible ç un. Je n’ignore pas qu’en tsigane européen nous avons un s
comme correspondant à un ç sanscrit: çata «cent» = tsigane sel; ciras, xépas = tsigane sero; caca
«lièvre» = tsigane sosoj; çukra = tsigane Sukar «beau»; castra «fer» = tsigane sastir, que s
sanscrit = tsigane s: manusa «hoinme» = tsigane manus, mais les tsiganes orientaux ont une
forme à sifflante mâness. Je crois donc que provisoirement on peut admettre l’étymologie de
sunno = skr. ç van.
De l’examen des vocabulaires djougi et gooudari, il résulte avec évidence que
ces nomades parlent un dialecte tsigane oriental. Les Djougi ne sont pas cités
parmi les Tsiganes du nord de la Perse qu’énumère M. de Gobineau, mais le
nom des Gooudari se retrouve dans cette liste qu’il n’est pas inutile de repro-
re :
Sanâdi
Kerzi
Kascterasch
Toârtebib
Bodâghi
Gaubâz
Àdenesiris
Baskapan
erma ai (Or-
Gaudari
(Mazenderan)
fèvres , se disent d’ori-
gine grecque)
Scheheryâri
Kâschi
Bedjümbün
w Miklosich, op. cit.,V, p. 7.
Mémoiret , t. XXVII.
18
É. GALTIER.
On désigne les Tsiganes dune façon générale sous le nom de Qeregi, qu’ils
regardent comme une insulte, de J[ys*,Djuki (les Tsiganes anglais portent le même
nom Jockies, d’où tt jockey »), de Lüli, ou de Kauli J,jf . Les Tsiganes
se donnent le nom de Beschâwân et appellent leur langue ’
Zeban-e-Kurbali, Kurbati est le nom que se donnent les Tsiganes de Syrie.
Dès lors la question de l’origine des Gooudari et des Djougi se rattache à
celle de l’origine des Tsiganes, qui est encore loin d’être éclaircie avec certitude.
Nous ne faisons pas allusion aux théories aventureuses qui attribuent à ces
nomades l’introduction du bronze en Europe aux époques préhistoriques, these
soutenue par de Mortillet ll) , qui voient en eux, sur un texte d’Hérodote, les restes
d’une colonie égyptienne du temps de Sésostris, fixée dans le Pont-Euxin ou
les descendants de chrétiens d’Egypte qui auraient fui la persécution vers le
vii e siècle, ou qui les retrouvent dans Ézéchiel et Isaïe (3) ou dans les Hiwiot
<x ypiopovoi d’Homère (4) (les Tsiganes se donnent en effet le nom de Sinte), mais
de la théorie courante qui voit en eux une ou plusieurs tribus venues de 1 Inde
dans l’empire byzantin, vers le xiv e siècle (5) . Mais si l’on a pu, grâce aux archives
européennes et aux éléments étrangers que renferment leurs vocabulaires,
suivre leurs migrations successives en Europe^, cette question na pu etre
résolue que parce que l’on possédait des vocabulaires étendus de tous les
dialectes européens. En ce qui concerne les Tsiganes orientaux, il y a au
contraire pénurie de documents: on ne sait rien sur les Tsiganes du Magreb (7) ,
U) D’après Bataillakd, Les Tsiganes de Vâge du bronze (J5wK. de la Soc . d anthropol. , Paris, 1876).
( 2 ) J.~G. Hàsse, Zigeuner im Herodot, Konigsberg, 180 3 .
(3) S. Robert, The Gypsies, their origin, conîinuance and destination as clearly for etold in the prophéties
of Isaiah, Jeremiah and Ezechiel (L’auteur veut prouver que les Tsiganes descendent des anciens
Égyptiens dont la dispersion a été prédite par les prophètes.)
(4) C’est la théorie qu’a soutenue Bataillard, qui a toujours cru que les Tsiganes ont existé en
Europe bien avant le xiv e siècle. Mais la structure linguistique de leur idiome néo-indou ne permet
pas de les faire partir de l’Inde avant le xi e siècle. Cf. Miklosich, Uber die Mundarlen u . Wanderungen
der Zigeuner , III, p. 3.
{&) On les trouve en Crète en i3ss , à Corfou en 1 346 , en Valachie en 1 3 *jo , a Nauplie en 1 3 98.
Les éléments nombreux empruntés au grec, et en particulier l’article o,i, qui manque aux dialectes
orientaux, prouvent qu’ils ont dû vivre assez longtemps dans un pays de langue grecque. Cf. Miklo-
sich, op. L, III, p. 7 .
«>) C’est ce qui fait le sujet du grand ouvrage de Miklosich, Uber die Mundarten u. Wanderungen
der Zigeuner, 1 vol. in- 4 °, Wien, 1872-1877, 8 parties.
(?) J’ai recueilli autrefois un vocabulaire du dialecte des Beni-Addès d’Algérie, mais je ne lai
pas sous la main en ce moment. L’appellation Beni-Addes est considérée par eux comme une
insulte; ils se donnent le nom de Ijât, pluriel Ijouet.
19
' MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS.
peu sur ceux (l’Égypte, de Syrie et de Perse (1) . Il n’était donc pas inutile
d’appeler d’attention sur les deux vocabulaires recueillis par la mission de Perse,
en montrant que M. de Morgan avait recueilli deux vocabulaires du tsigane
oriental. Il serait à désirer que l’on en recueillît de plus étendus et que l’on y
joignît des textes ou des phrases simples, qui donneraient une idée de la
structure grammaticale de ces dialectes orientaux si peu connus. C’est seulement
lorsque ce travail aura été fait que l’on possédera les éléments indispensables
qui permettront de résoudre la question de l’origine des Tsiganes, et de les
suivre en Orient dans leurs migrations, comme on Ta fait pour l’Europe (2) .
U) Voir plus haut, p. 9, une bibliographie sommaire.
(2) L e passage suivant de Newbold montrera combien il est difficile d’obtenir d’eux des renseigne-
ments. «After paying a first visit to them in the Hosh-el-Ghagar, I returned the following day, but
to my surprise, found their quarterquite desert. Suspicious of such unusual attention bestowed on
them they had quietly absconded, and crossed the Nile on the skirts of the desert.» Un Ghagar, de
qui j’espérais des renseignements sur leur langue, me répondit, après avoir consulté deux vieillards
de sa tribu, qu’il ne savait pas le kurde (sic).
*
*
III
LE VERBE «WAY» EN AFAR.
Le sens primitif de ce verbe ne paraît avoir été reconnu avec précision ni par
Reinisch, ni par Golizza. La racine way (saho, wa, soho, wa) comporte les sens
suivants selon Reinisch : «ne pas trouver, ne pas avoir, être en querelle»; avec
le verbe à l’état construit, elle sert de négation, avec le subjonctil elle forme le
futur : selon Reinisch, une phrase telle que, fandn-m ko wari senü wayna «nous
te dirons à présent ce que nous désirons», s’explique par «nous n’avons pas
encore eu l’occasion de te dire ce que nous désirons, mais elle se présente à
présent». Golizza ne donne de cet emploi de way aucune explication: il se
contente de dire : way «esser senza, mancare, non trovare», et: way uni au
subjonctif sert à former le futur.
On comprend difficilement qu’un verbe ayant le sens que lui donnent ces
deux auteurs ait pu être employé en fonction d’auxiliaire pour exprimer le futur :
il faut pour cela que ce verbe ait possédé un autre sens qui n’a point encore
été indiqué. Ce sens primitif qui s’est complètement affaibli dans l’usage de la
langue a dû être celui de chercher. Cette signification primitive a donné naissance
à une signification voisine , celle de «vouloir» : la meme dérivation sémantique a
eu lieu en espagnol, quiero «je veux», du latin quaero «je cherche», et en turc
JusUJ, istemek «vouloir», pour *iz-le-mel ; le tatar a conservé le sens primitif,,
iz-là-mek «chercher». Ce sens primitif de «vouloir» que nous attribuons au
verbe way rend très bien compte de la formation du futur : une phrase telle
que: a wok tâ kafô limoysü wa, a signifié, mot à mot, à 1 origine, «je veux que
je te vende»; l’emploi de wa est tout à fait semblable ici h celui de 1 auxiliaire
will dans thou wilt make. Les phrases suivantes s’expliquent de même :
Ninnï bâhenam kô warisinü wayna «nous te (lirons ce que nous portons (nous voulons
te dire)».
Kâfâ adagâ arkisü wa «je la ferai porter aujourd’hui au marché (je veux la faire porter)».
Puis le verbe way, comme dans l’anglais it will be said, a été employé même
quand le sens de volonté n’était plus percevable; way est alors un simple
auxiliaire dont le sens primitif est complètement affaibli, il est devenu ce que
l’on appelle dans la grammaire chinoise un mot vide.
Balai cheyâ kôk raddü way ta «la meule tombera sur ton fils» ( raddü — rad-tû ).
22
É. GALTIER.
Mais le sens primitif de way « vouloir» subsiste encore dans plusieuis exem-
ples : ainsi yi balaû, ko javimü wa peut parfaitement se traduire par «mon fils, je
veux te faire une recommandation» ( far-im «faire son testament»). Mangarko
abü-wa «je veux te faire un présent».
Du sens primitif de «chercher, vouloir», on a pu passer de même à celui de
«perdre», cf. en latin reliqua desiderantur, et par suite à celui de «ne pas trouver,
être sans, être privé de» :
Alà la nüm âU way îyan «le propriétaire de la chamelle ne la trouva pas». Amà liqâhi waya
iyan «il ne trouva pas ce prêt».
De là l’emploi avec tiddâ, au sens de se disputer, mot à mot «ne pas trouver
l’union, la concorde», tiddâ way , et avec les verbes à l’état construit, dans le
sens négatif, abela way «je ne vois pas» (videre non invenio) :
Maha nateda angala-way-ta « pourquoi ne viens-tu pas avec nous ? »
Abbtl ïbâ gala bah farâsa gala abela-waynoy «le père va à pied et le fils a cheval, nous n aurions
pas voulu voir cela».
Du sens de « perdre » , on est passé à celui de « ne pas avoir » :
Yi balay saranâ way-la, masrüj wayta, bila way-ta «ma fille, tu n’as ni habits, ni nourriture,
ni joyaux».
*
* *
Le vocabulaire afar renferme un très grand nombre d’éléments étrangers, em-
pruntés à l’arabe, à l’amharique, au tigré, etc. Quoique la plupart des emprunts
aient déjà été indiqués par Reinisch, il m’a semblé qu’il n’était pas tout à fait
les mots d
origine arabe. Je
marque
d’un astérisque
ceux dont Reinisch n’a
pas donné l’étymologie.
*Abü-nauwa$
nom propre arabe.
Oddonya
monde
Loin
*Abü
père
*1
Oddür
temps, jour
(Le vrai
mot afar parait être abba.)
• A gin
pâte
Abadâ
jamais
ibot
Ahad
dimanche
Abrahtm
nom propre.
*Akera
l’autre monde
syj
Abriq
vase
(Le haoussa a emprunté aussi le mot sous la forme
lahira. )
*Adar
revenir
; b
Iïibïs
diable
Adbah
lue
(Ce mot n’est pas afar; il est mis dans la bouche
*Alfi
mille
<_d!
d’un personnage qui parle arabe.)
4
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS.
23
Elhamdu,; lillah
M <>4d
B
Alain
assurer
Bâb
porte
t_>L
Aman
O*'
*Bilal
nom propre.
croire
Undula
perle
Banduq
fusil
Barre
désert
?
Arbdat
mercredi
*Bïre
la nuit passée
hier
Artd
terre
i moment de \
1 la troisième)
Barud
poudre
Arsi
Birhi
virginité
Â
( prière )
(Plutôt que
Asfmdiyâ
ablution
* J»
Beriig
melon d’eau
Itilen
lundi
Basal
oignon
Auwdl
premier
d?
Bet'i
hydromel
e*
Ayàm
semaine
Baysa
pacha
l&V
(pluriel de
(Du turc par l’arabe.)
D
Da «
appeler
Ici
t
Dabad
musc
'Ab
boire
Dafana
entrer
'Id
fête
*Dago
petitesse
Aduw
ennemi
Dahab
or
çaÆA
'Afiyat
santé
Duhre
milieu du jour
*Aqil
sagesse
Dôlal
gouverneur
Allmi
Dtmârn
anneau du nez
•Li
savant
r J
Ammi
oncle
w
r*
*DamUl
corbeille
* Arab
arabe
Dari K
champ
t»
£ >
1 Isa
soir
»l&6
*Duriyat
postérité
(et non .)
Atkar
soldat
X, g
* Dis te
poche de fer
" Ayar
mépriser
J**
Dawâ
remède
(La forme arabe
est plus probable
que legeez.)
(et non *l$à.)
Ayt
s’irriter
Daua
encrier
24
É. GALTIER.
F
Hakam
commander
(**k
Fakëhi
savant mah.
AjJii
Haqqe
droit
w
Filjan
tasse
Halagô
haillon
*Farah
se réjouir
Z?
Ealawà
pâtisseries
*Faras
cheval
U*^
Harârnû
adultère
r'r"
Feras
lit
Harêr
soie
Fassar
expliquer
w ,
* H aras
labourer
Fatal
filer
J*
*Hasab
compte
Fatan
éprouver
Haijda
chose, affaire
Faydat
gain
Hayle
force
*Gradumâ
G
hache
✓
pj'XS
K
*Gafô
corbeille
âÜL»
*Kadam
servir
*Gahannab
enfer
w
Kafan
linceul
*Galabo
peau d’animal
Kafar
païen
y*
(N’est pas l’arabe
= peau d’une plaie qui guérit.)
Kela
mesure
Guma'al
vendredi
Kalaq
créer
Ginni
démon
w
Kam
combien
Gcinnat
paradis
*Kamîs
jeudi
j*jh?
*Girib
sac de cuir
«
Kim
loyer
»\JS
J
*Karâmal
aumônes
Jahannab, cf. gahannab.
Kararal
sac, poche
Jimi
poche
Kïs
sac
( D’où jibe, jibi; cf. le haoussa aljifi, jimi,
avec/=ô.)
Kasaf
découvrir
Jumaat, cf. guniaat .
Jinniy cf. ginni .
Jannat , cf. g annal.
*Kasam ou Qasam, tr citer quelqu’un en justice en
jurant par la tête du qadi» : il y a peut-être une
confusion entre d’où kasam, et j*u.b,
d’où qasam .
H
Qasamat
serment
oLm3
Habbu
aimer
w
Kiswal
habit
ÏjmS
Haji
pèlerin
Katab
écrire
VOS"
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS.
25
Kâlim
sceau
Ajila.
Mulehû
morceau de sel
&
p
(Peut-être l’amh. amolie.)
Kay y al
coudre
Manduq
fusil
Q
Mërï
domination
Qâdt
juge
Marhaba
merci, salut
Qadar
pouvoir
Môsâ
rasoir
<s*y
Qahuwa
café
Masbahat
rosaire
Qal
penser
(?) Jls
Misgidi
mosquée
«XæÈ^O
Q aidai
forteresse
iüJi
Miskïn
pauvre
Qalib
bouteille, nar-
oJb
Masalahat
gain
gileh
• /
Musulum
musulman
Qtlibat
direction de la
Mecque
Mismâr
clou
*Qamts
chemise
Masaraba
nargileh (cf. sarab.)
Qara
école
p\j*
*Ma$ruf
dépense
*Qarbe
tombeau
Ïja3
(et non de
Qarsi
taler
t b*
Masariqa
ouest
Qersi
piastre
A»
*Misttr
secret, ne vient pas de jXm*
mais de l’éthiopien mes tir.
Qatat
couper
LaS
Masuwa
ville , nom propre
M
N
Maaba
nargileh
de
Ndal
maudire
J»
Muedin
muezzin
V ** J
U***
Nadï
rosée
J (S 1 -*-*
* Mdaka
cuillère
MxL>
Nagâr-à
menuisier
Midàd
encore
àl<X»
Nâhli
palme de dattier
s*
Muddi
quantité.
w
*Nahâr
poitrine
comme
(Gf. le pluriel nâhôr = arabe
Midan
balance
Nahàs
cuivre
0“^
Miflah
clef
^Üüu
Nàsdâ
lit
Magrib
soir
çyw
R
*Maharas
agriculture
de
Rabbî
seigneur
V)
Mal
bien
Ju
Rub
gagner
&
Mémoire s, t. XXVII.
4
26
Ë. GALTIER.
Rubu un quart g)
*Rad «courir», ne parait pas emprunté à l’arabe
= « chercher, rôder».
Raf
coudre
U;
Ragad «danser» , vient plutôt du geez
l’arabe «courir».
que de
Rakûb
dromadaire
(et non
RiJcâb
étrier
Râmili
divination
par le sable
A»;
Rusas
plomb
*Raleli trpoids», Reinisch renvoie à tort à nalri ;
ce dernier vient de T abyssin nater et raieli de
l’arabe .
S
Saat
montre, heure
Xfilw
Sùbehi
matin
*Sabti
samedi
Sidi
monsieur
<xL*
*Sadaf
coquillage
ÔOvAO
*Stfâ
ne peut venir de
cô)
Safar
voyager
jXèêè
Sagad
prier
CSJ&
Sâheb
ami
c_ajxLo
*Sàhada (yalii) «musulman» d’ou
ma-sahada «index», c’est-à-dire le doigt qu’on
lève pour indiquer l’unité de Dieu.
Sahaq
«rire», plutôt de l’éthiopien que
de l’arabe.
Sahal
être uni
Sahan
ass’.ette
Sâheri
sorcier
Sahat
tromper
(»)«**
Sôkâ
fourchette
*Sôkdr sucre
( Sakay ) astakayn (subj.) «avoir un procès», .
S?
t
pille
*Silal
ombre, om-
brelle
Salam
salut
Soltan
sultan
Sum te cheikh » , ce mot donné sans
l’abyssin choum .
étymologie est
Sanii
cire
Summi
poison
r
Sanduq
coflre
Sanat
année
UM
Sarab
boire
LJj**
Sirad
lampe
*Saraf
dépenser
(et non Cïjm»)
Cïyo
Sarri
méchanceté
W
VS
j-
Sêtân
diable
Satar
cacher
y**
Sayfi
épée
sJUum
T
Tabânjà
pistolet
Tâjeri
marchand
y^
Talalâ
mardi
*Tâm
sentir
Tamir
datte
J*
W
Wak
temps
(?)cô.
Wakïl
protecteur
Wallah
par Dieu
aMI,
Waraqat
papier
**)}
4
IV
NOTE SUR UNE STÈLE FUNÉRAIRE ARARE.
L’abbé Bargès a publié autrefois, dans la Revue archéologique™, une stèle
arabe d’après un estampage pris à Tarsous par V. Langlois, qui avait vu cette
stèle dans la maison du consul anglais. L’abbé Bargès arrive aux conclusions
suivantes : i° l’inscription est une épitaphe; 2 0 le défunt se nommait Hassan et
était un personnage réputé saint parmi ses coreligionnaires, probablement quel-
que santon ou derviche musulman; 3° les confrères de cet Hassan avaient érigé
autour de son tombeau un monastère sur lequel ils invoquaient les bénédictions
du ciel. Voici d’ailleurs la transcription du texte et sa traduction. .
lüOj Ix.' W . l
5 J! j jüüü J?.* U-y-?
Jo
ci
10 juIp cr
Au nom de Dieu
clément et miséricordieux. O Dieu!
Hélas! nous avons tous été affligés à cause de l’affection que nous portons
D) Revue archéologique, 1 858, 1 4 e année , 2 e partie , p* 7^7 (Notice sur une dalle funéraire du iv e siècle
de V hégire découverte à Tarse en i85i).
U.
28
É. GALTIER.
à celui que la mort a frappé et nous avons enseveli Hassan, ton serviteur.
5 Nous lui avons bâti le couvent qui possède son tombeau et qui a besoin e
ta miséricorde. Fais que nous y soyons à l’abri de tes châtiments.
Habite-le toi-même, et daigne nous y mettre à l’aise avec toi
sous ta protection; sois bon envers nous ainsi qu’envers ton prophète
Mohammed : que Dieu lui soit propice, qu’il le salue
10 et que celui qui est le plus miséricordieux, se montre envers lui miséricordieux.
Malheureusement, la stèle ne renferme rien de semblable, et cet exemple
nous montre qu’on peut être un assez bon arabisant et un très médiocre épigra-
pbiste. Le texte doit être transcrit et traduit de la façon suivante :
CrZV'
(itaLjx ll) Ud
[cl J]
lui
ci
IM **
,£um [j] Ajçlc
10 xAs. ps»jJ> Cy*
0
Au nom de Dieu
clément et miséricordieux. 0 mon Dieu
lorsque tu réuniras tes serviteurs
au lieu du rendez-vous , sois bon envers ton serviteur
5 qui habite ce tombeau, l’avide de
ta miséricorde , en le mettant a 1 abri du châtiment ,
et fais-le habiter dans le lieu de tes jardins [célestes]
dans ton voisinage et la société de ton prophète
Mohammad (que Dieu répande sur lui ses bénédictions et 1m accorde le salut)
,o et sois miséricordieux envers quiconque lui témoignera de la compassion.
U) La gravure porte bien un alef et non un lam.
29
mémoires et fragments inédits.
On remarquera un certain nombre de fautes dues au graveur: ligne e : ^\j
pour Jfji ligne 3 : lit pour U; ligne B : pour oïl-, et l’oubli de
JIWs û-J-l, 1- B, et de dans la formule bien connue
Gomme on le voit, il n’est question dans cette stele, ni de Hassan, ni dun
couvent bâti en son honneur. On n’y rencontre qu’une de ces formules banales si
fréquentes dans les stèles funéraires et qui nous montre une fois de plus combien
sont insignifiants les résultats que l’on peut attendre de l’épigraphie funéraire
arabe.
4
LE MARTYRE DE PILATE.
Le manuscrit dont nous publions le texte arabe et la traduction n'est pas
entièrement inconnu. Il a été signalé autrefois par l'illustre orientaliste de Sacy,
dans une lettre adressée à Birch et publiée par ce dernier dans un appendice
de son ouvrage"’. La même histoire existe encore dans le manuscrit carchoum
de la Bibliothèque nationale, n° 273, fol. 22-47. Le catalogue la résume
ainsi» • Histoire de Pilate, de Joseph d’Arimalhie et de Nicodème; de la résurrection
de Noire Seigneur et de ce qu'il a sosgert de la part des Juifs, par Cynaque de
Bahnesü. Après quelques mots en syriaque, le manuscrit commence ainsi :
-...U kà-o* ,_A*J U '—'«O' **!*>■• O-jélyÿ (j^üJÜl JU
OIAWJ». Si s jN-^ '-Aeej uijAilyfe'l tjWJ LÿAJ! S
Une troisième rédaction est, selon Thilo», contenue dans le manuscrit du Vati-
can n“ 5 5 ». Je n’ai malheureusement pu consulter aucun de ces deux manuscrits ,
dont le second paraît être une rédaction abrégée du manuscrit que nous publions 1 * 1 .
Le sujet de ces trois manuscrits est le martyre de Pilate; mais, comme on le
verra plus loin, le contenu de ce manuscrit diffère complètement de l’apocryphe
connu sous le nom de Paradosis Pilati.
Pilate, ayant joué un rôle important dans la Passion, est devenu de bonne
heure un des personnages que les auteurs d’apocryplies se sont plu à mettre en
scène ou auquel ils ont attribué un certain nombre décrits ayant pour but de
confirmer la mission du Christ. Ainsi Pilate figure dans les f iroprifiaTa tou
K uptou fffiwv Itjcrov Xpfcrîoû ‘Ziïpce.y' 6 svT(Xs èiu IIoDTtou IïtXaTOU , connus aussi
sous le titre d 'Acta ou de Gesta Pilati et d ’ Évangile de Nicodème et publiés par
u invio rlrmt nn a Tïlmiftiirft rédactions grecques et
W Cf. Thilo, Codex apocryphus Novi Testamenti , 1 vol, Leipzig, i 832 , p. clix.
W Zotenberg, Catal. des manuscrits syriaques et sabéens de la Bibl . nat p. 211.
W Je transcris, faute de caractères, les caractères syriaques en caractères arabes.
W Thilo , ï. h , p. clvii.
W ÀâSKMANi, Biblioth . orientalis, t. III, p. 286.
^ C’est le ms. arabe n° 162 de la Bibliothèque nationale. Cf. de Slane, CataL des mss . ara es e
la Bibl . nat, p. 35 . Le texte occupe les folios î-hq» Le manuscrit est du xvi e siècle et de diverses
mains : c’est à tort que de Slane affirme que le dernier opuscule seul est dune main différente.
^ Thilo, Codex apocryphes Novi Testamentum, p. 487-802.
W Tischendorf, Evangelia apocrypha, Lipsiæ, 1886, p. 211 - 432 .
32
É. GALTIER.
latines, se compose de deux parties diverses : la première ( 1 -XVI) comprend le
récit de la condamnation, du supplice et de la résurrection du Christ. La deuxième
(XVII-XXVII), le récit que font les fils de Siméon, Carinuset Lucius, ressuscités,
de la descente du Christ aux enfers. La première partie a été, selon Tischendorf (1) ,
composée par un chrétien d’origine juive, afin de démontrer à ses compatriotes
la vérité de la mission du Christ, par le témoignage de Juifs de marque qui
avaient assisté à ces événements. Ces actes différeraient peu de ceux qu’a connus
Justin au 11 e siècle (2) , mais auraient subi diverses interpolations. La deuxième
partie est regardée par Maury (3) comme tirée d’Eusèbe d’Alexandrie et d’écrivains
contemporains. Tischendorf la croit tirée d’un vieil apocryphe du il* siècle^,
et composée par un chrétien d’origine juive, imbu des idées gnostiques Les
'tTTOfivrjfMXTa, comprennent en résumé:
Les Gesla Pilait, en grec, dont on a deux rédactions A et B.
La descente du Christ aux enfers, en grec.
Les Gesta Pilati, en latin.
Le Descensus ad inféras, en latin, dont on a deux rédactions A et B.
Dans le Descensus ad inferos latin est insérée une lettre de Ponce Pilate à
Claude ( nuper accidit et quod ipse probavi), où il lui annonce la résurrection
du Christ et l’engage à ne pas croire aux mensonges des Juifs.
M Tischendorf, ibid., p. lxv.
® Justin, Apol., I, 35, 48. Renan ( Vie de Jésus , î vol., Paris, 1867 , p. Lxi,n. i) est d’un avis
contraire. Lipsius ne croit pas qu’ils soient plus anciens que la fin du iv e siècle.
^ Màury, Nouvelles recherches sur V époque à laquelle a été composé ... l’évangile de Nicodème, Paris , 1 85 o.
^ Nicolas ( Etudes sur les évangiles apocryphes , p. 36 o- 36 i) est du même avis.
^ On en possède une rédaction en copte sahidique, éditée par Rossi, Trascrizione di un codice
copto del museo egizio di Torino [Ment. délia reale Acad, delle scienze di Torino , 1 884 [p. 16 3 - 224 ] et
trad. italienne, t. XLII, 1892, p. 237); une traduction latine de Peyron est reproduite dans
Tischendorf, Ev. apocr p. 333 et seq. Un nouveau fragment copte des Acta Pilati a été publié
avec traduction française par M. Lacau, Fragments d’apocryphes coptes, 1 vol., Le Caire, 1904 (t. IX des
Mém. de l’Inst. fr. d’arch. or.), p. 9 et seq. M. Lacau écrit, page 2, à propos de ce texte : «La traduc-
tion copte qui nous est connue (celle de Peyron) diffère sensiblement des recensions grecque et
latine éditées par Tischendorf. Elle a été faite sur un original grec indépendant de tous les manuscrits
qui nous sont parvenus. Or la nouvelle traduction copte dont je publie deux fragments diffère à la
fois de cette première version copte et de toutes les versions grecques et latines. . . Ce texte prouve
l’existence d’une nouvelle recension grecque tout à fait distincte de celles, pourtant très nombreuses,
qui ont été retrouvées jusqu’ici.» Pour les versions slaves des Acta Pilati, voyez Harnack, Gesch. der
altchristl . Lit. bis Eusebius, p. 907.
(6Î Tischendorf, op . cit p. 4 1 3 - 4 16; Thilo, op.cit., p. 796-800, où l’on trouvera l’indication des
éditions antérieures ; une traduction française dans Migne, Dict. de la Bible, 4 vol., t. III, .1 846 ,
p. c. 1 1 59-1 160.
33
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS.
On possède encore une autre lettre apocryphe de Pilate à Tibère César (1) , où
il rend témoignage au Christ, «virum hercle ita pium et severum nulla unquam
ætas habuit nec habitura est», et où il s’excuse d’avoir été forcé de le mettre à
mort par crainte d’une sédition des Juifs.
Le rapport de Pilate à César Auguste, connu sous le nom d 'Anaphora Pilati , et
dont on a deux rédactions grecques, a été publié par Fabricius (t. III, p. 456 ),
avec une version latine, reproduit dans Birch ( Auctuarium , 1799, Copenhague),
par Thilo ( Codex apocryphus Novi Testamenti, p. 80 4 - 8 16), par Tischendorf
(Evangclia apocrypha. A, p. 434 - 442 ; B, p. 443-449) et traduit dans Migne (2) .
Une version arabe de YAnaphora a été publiée par M rs Gibson (3) : ce texte arabe,
probablement traduit du grec, se rapproche de la recension A de Tischendorf,
mais est plus ancien que le texte de Tischendorf (4) . Une version syriaque de
YAnaphora est publiée dans le même volume des Apocrypha sinaïtica (5) .
La correspondance entre Pilate et Hérode a été publiée par Wright d’après le
manuscrit du British Muséum (addit. i 46 o 9 ) (6) .
Une histoire du Sauveur, envoyée dit-on par Pilate à Tibère, et trouvée à
Jérusalem dans un registre du temps de Théodose, a été publiée par les
Bollandistes
Enfin la Paradosis Pilati, ou condamnation et exécution de Pilate, a été publiée
en grec par Thilo (op. cit., p. 8 1 3 - 8 13 ) , Tischendorf (op., cit., p. 449-455),
et traduite dans Migne (Dict. des apocr., p. 75 1-764). Une version syriaque avec
traduction anglaise a été publiée par M rs Gibson (8) .
Il est encore question de Pilate dans divers fragments d’apocryphes coptes :
ainsi dans un passage publié par M. Revillout (9) , Pilate interroge Jésus dans le
prétoire au sujet de sa royauté.
(1) Thilo, op. cit., p. 801-802; Tischendorf, op. cit., p. 433 - 434 ; Fabricius, Cod. apocrj/ph./ 1 ,
p. 3 oo ; III, p. 479.
® Migne, Dict. des apocryphes, t. II, 754-760.
l3) Dunlop Gibson, Apocrypha Sinaïtica, 1. vol., 1896, London (t. Y des Studia Sinaïtica), p. 1-1 1.
'* P° u r les rapprochements entre YAnaphora et le pseudo-évangile de Pierre, cf. Gibson, Apocry-
pha Sinaïtica, p. x-xi.
(S) Pages î-io du texte ; traduction anglaise, p. 1-6. Pour les versions slaves, cf. Habnàck, Gesch.
der altchr. Lit., p. 908.
161 Wright, Contribution to the lit. of the New Testament, i 865 .
W Acta Sanctorum, 4 février, p. 45 o.
t8 > Apocrypha Smaïttca, texte, p. 6-1 4 , et traduction anglaise, p. 6-1 4 ; pour les versions slaves,
cf. Harnack, p. 908.
W Rmit0UT > Le* apocryphes coptes (Patrolog. orient., IJ, 2), p. 161-162. L’éditeur regarde ce
passage comme appartenant à l'Évangile des douze apôtres; cependant il se rapproche singulièrement
Mémoires, t. XXVII.
34
É. GALTIER.
Dans un autre fragment") «Pilate est converti. Il veut prouver aux Jm s que
le Christ est ressuscité et qu’on n’a pas emporté son cadavre. Les soldats qui
gardaient le tombeau font des réponses différentes sur la dispantion du corps.
Pilate se rend lui-même au tombeau : il y trouve les suaires; .1 se sert alors de
cet argument vis-à-vis des Juifs : « Si l’on avait emporté le corps , on aurait emporte
«les suaires en même temps». Les Juifs répondent que ce ne sont pas les suaires
du Christ II faut donc prouver que les suaires en question sont bien ceux du
Christ. On devine comment Pilate, parleur contact, va guérir l’ceil crevé du
centurion 12 '.» Æ
Dans tous ces textes, Pilate est représenté comme faisant tous ses efforts pour
sauver le Christ, ou attestant sa mission divine. Mais à côte de cette legen e
favorable à Pilate, il en a existé une autre où Pilate, le juge inique qui avait
condamné Jésus à mort, finissait aussi misérablement que Judas qui l avait
livré aux Juifs. Selon une tradition rapportée par Eusèbe (4) , Pilate aurait mis fin
à ses jours par un suicide. Adon< 5) , dans sa Chronique, dit qu’il fut relègue a Vienne,
en Dauphiné, où il se tua de désespoir. Cette même légende est reproduite dans
un texte du xiv e siècle, publié par Tiscbendorf ^ : «Tibère malade envoie Volu-
sianus chercher un médecin nommé Jésus, dont il a entendu parler comme
guérissant de tous les maux. A l’arrivée de Volusianus, Pilate est rempli deffioi,
sachant qu’il a fait crucifier Jésus sans motif : il cherche à tromper 1 envoyé en
disant que Jésus était un malfaiteur. Volusianus (7) s’en retourne, et rencontre
Véronique qui lui apprend qu’elle possède un linge portant une image miracu-
leuse de Jésus. On emporte cette image à Rome, et dès que Tibère la voit, 1 es
des Acta Pilati, cf. Tischendorf, op. cit., p. »o, dont le traducteur copte paraît avoir eu sous les
yeux une rédaction légèrement différente : si l’Évangile des douze apôtres est un des plus anciens
apocryphes, ce passage ne saurait en faire partie.
(i) Lacau, Fragments d’apocryphes coptes, p. i3 et seq.; Revillodt, Les apocryphes coptes, p. 170.
(s) Dans une légende française du moyen âge, on attribue à Judas les crimes d Œdipe : il est
fort probable que cette légende est d’origine grecque ou orientale, car dans 1 ouvrage éthiopien
Les mystères du ciel et de la terre, publié par Perruchon (Patrol. orient., I, 1 ), p- 7 », *1 est “ « *
« Judas avait commis avec sa mère le péché d’impureté , il avait fait mourir son pere de sa main ,
avait lapidé sa sœur».
W Eusèbe, His. eccl, II, 7 ; de même Orose, VII, 5.
I 5 ) Ado , Chronic . œtas sept.
(®) Tischendorf, Evang. apocr., p. 456-458. . , ,•
P) Ce Velosianus et Véronique se retrouvent aussi dans la Vmdicta Salvatons apocryp
connu au moyen âge sous le nom de Vengeance Vespasien, cf. Hist. litt. de la France, t. XXU,
p. A 02 -A 16 , où il est aussi question de la mort de Pilate.
35
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS.
guéri II mande Pilate qui se présente revêtu de la tunique du Christ. Aussitôt
f a C0 lère de l’empereur s’apaise, et il parle à Pilate avec bonté ; mais des que Pila e
a disparu de sa présence, sa colère le reprend. Le meme fait se renouvelle
nlusieurs fois. Enfin Pilate ayant, sur le conseil d’un chrétien , quitté cette tunique ,
L empereur le fait emprisonner et juger. PUate désespéré se poignarde dans sa
prison. » Cette légende est rapportée aussi dans Jacques de Vara™ • Enfin on
montre au-dessus de Lucerne'”, en Suisse, un lae nomme le lac de Pilate ou I on
tient que ce gouverneur se précipita, étant poursuivi lorsqu il s enfuyait du heu
de son exil. Le peuple ajoute qu’en un certain jour de l’année, on voit un spectre
en babit déjugé qui disparaît ensuite en se plongeant dans le lac' ’. Les Lucer-
nois croient que si l’on troublait l’eau de ce lac ou si l’on y jetait quelque chose,
aussitôt il s’élèverait un orage dans le pays. C’est pourquoi l’on a grand soin
d’avertir les curieux qui le vont visiter de n’y jeter aucune chose qui en puisse
troubler l’eau^h
Mais cette légende n’a pas eu le succès de la première qui représente Pilate
comme favorable au Christ et qui est née de plusieurs passages des Evangiles
canoniques (5) . Ainsi, dans son rapport à Tibère, il s’excuse d’avoir cédé à la pres-
sion des Juifs «nutre tandem populi acertum me quasi invito et subtimente
«supplicium sumptum est w t6 L Dans les Acta Pilati Pilate, plein de coleie, sort
du prétoire et leur dit : « Je prends le soleil à témoin que je ne trouve aucun crime
dans cet homme ». Plus loin W, il prend à part les prêtres et les lévites et leur
dit : « N’agissez pas ainsi, car aucune des accusations que vous portez contre lui
ne mérite la mort». Dans l’apocryphe copte « «Pilate entra dans le tombeau.
Il prit les linceuls de Jésus. Il les serra contre son sein. Il pleura sur eux. Il les
baisa de joie, comme si Jésus en était entouré.» Dans la Paradosis Pilati, la.
légende a fait un pas de plus et Pilate croit en Jésus et lui adresse une prière
avant de mourir : «Seigneur, tu sais que j’ai agi par ignorance. Ne me condamne
«pas pour cette faute, mais pardonne-moi ainsi que ta servante Proela quj est
\ _ J A ^ a J n WTk Vk Ai
_
W Jacques de Varàzzo, éd. Græse, p. 2 32 .
W Dictxonn. de la Bible , par dom Calmet ( EncycL Migne ), t. III, p. 1162.
Cf. Walter Scott, Anne de Geierstein , chapitre premier.
M Je nai pu consulter Migne, Dict . des légendes du christianisme.
Matthieu, xxvu, 19, 24 ; Luc , xxu, 4 ; xxiii, i 4 -i 6 ; Jean , xviii, 39; xix, 12 etc.
W Tison endorf, Ev ap., p. 433.
Ibid., p. 229.
W Ibid., p. 232 .
W Revillout, Apocr. coptes, p. 172.
5.
36
É. GALTIER.
« ma faute, mais pardonne-nous et place-nous au nombre de tes justes. » Et comme
Pilate achevait sa prière, une voix descendit du ciel, disant : cr Toutes les géné-
tf rations et toutes les nations t’appelleront béni, parce que cest de ton temps et
tf par ta main, qu’a été accompli ce gui a ete dit par les prophètes a mon sujet . . . »
Et le præfectus trancha la tête de Pilate, et voici que lange du Seigneur la
montra et son épouse Procla, ayant vu l’ange qui venait et recevait la tête de
Pilate, fut remplie de joie, et elle aussi expira à l’instant même et fut ensevelie
avec son époux (l) . »
Un langage analogue est prêté à Pilate dans un fragment de parchemin, seul
reste d’un manuscrit éthiopien (2) où un dessin grossier représente Pilate dans
l’attitude de la prière : ce Je crois que tu es ressuscité et que tu m’as apparu et
que tu ne me jugeras pas, parce que j’ai agi pour toi craignant ceci des Juifs (?).
Et ce n’est pas que je nie ta résurrection. Je crois en ta parole et dans les miracles
que tu as faits parmi eux quand tu étais vivant. Tu as ressuscité plusieurs morts.
C’est pourquoi, ô mon Dieu, ne sois pas irrité contre moi à cause de ce que tu (?)
as fait.»
Enfin Pilate est regardé comme saint dans l’Eglise abyssine : on lit en effet
dans le Synaxaire éthiopien, au 2 5 senê : « Salam à Pilate et à sa femme ». Cette
dernière est appelée Procula par Jean Malalas (Chr., p. 3oq), Nicéphone et le
Pseudo-Dexter (Chron.), qui ajoute Claudia Procula. La tradition quelle devint
chrétienne est rapportée par Origène (hom. inMatlh., 35), Chrysostome (in Matth. ).
Les Ethiopiens l’appellent Abrocla (Ludolf, Lex. æth., 5 ù 1 ), et les Grecs célèbrent
sa commémoration parmi les saints le 27 octobre sous le nom de IIpdxAad 3 *.
Le texte attribué à Cyriaque de Bahnesa nous présente un Pilate fort peu
différent de celui de la Paradosis, un Pilate non seulement converti mais encore
subissant la passion comme le Christ, et rachetant sa faute par son martyre.
Voici une brève analyse de cette légende.
(F 0 1.) Le lendemain du sabbat, Marie se rend au tombeau de Jésus. Jésus lui apparaît et
lui apprend sa résurrection. Marie le prie de lui expliquer les mystères dont elle a été témoin
et les paroles qu’il a prononcées sur la croix. Jésus les lui explique longuement et disparaît.
Marie va trouver les disciples pour leur faire connaître ce quelle a vu.
(F 0 9.) Pilate prépare un festin pour les pauvres et sa femme Procla veut aller visiter le
tombeau de Jésus. Les Juifs et Barrabas vont s’embusquer dans le chemin. Mais Joseph
(1) Tischendorf, op. cit., p. 455.
( 2 ) Cité par M rs Gibson ( Apocrypha Sinaïtica, p. xn), qui renvoie au sujet de ce texte à un article
de M. Baker, dans le Newbery House Magazine, décembre 1892.
(3 ) Tischendorf, op. cit., p. 523.
37
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS.
4L
d’Arimathie, prévenu par Gamaliel, donne avis à Pilate de leur dessein. Procla part, accom-
pagnée de gardes qui font prisonnier Barrabas. Pilate le fait aussitôt crucifier.
(F 0 12.) Les Juifs vont se plaindre à Hérode de la tyrannie de Pilate. Hérode envoie à Tibère
un rapport mensonger sur le compte de Pilate : ce dernier de son côté lui écrit pour l’informer
que les Juifs ont crucifié Jésus. L’empereur irrité fait mettre à mort les faux témoins d’Hérode
porteurs de son rapport et envoie un officier à Jérusalem pour savoir la vérité sur les prodiges
dont Pilate lui a parlé.
(F 0 i 4 .) Les Juifs s’entendent avec cet envoyé qui fait flageller Pilate et le fait promener
ignominieusement dans la ville : puis, acheté par les Juifs, il les autorise à le crucifier. Cependant
les gardiens de la prison où est enfermé Pilate viennent annoncer que ses chaînes se sont
fondues comme de l’eau et qu’un être lumineux s’entretient avec lui. Les Juifs achètent leur
silence. Pilate subit la passion comme le Christ : sur la croix il prononce une prière. Des
couronnes descendent du ciel. ( F 0 22.) A la vue de ce prodige, les Juifs détachent Pilate de la croix.
Un esprit impur étrangle le fils de Tibère pendant qu’il est au bain. L’impératrice se souvient
alors des miracles de Jésus et conseille à Tibère d’envoyer le corps à Jérusalem et de le déposer
dans le tombeau du Christ. (F 0 2 4 .) L’empereur écrit une lettre au Christ. (F°26.) Le Sauveur
apparaît à Pilate dans sa prison et lui prédit son martyre. (F° 28.) Le corps du fils de Tibère
arrive à Jérusalem : sachant qu’il ressuscitera, les Juifs conviennent de le voler et de le cacher.
Pilate, Joseph et Nicodème sont accusés du vol. Gabriel leur apparaît, les rassure et révèle où
est le corps (f° 3 i) qui est déposé dans le tombeau de Jésus. Le fils de l’empereur ressuscite le
quatrième jour. (F 0 3 a.) Il écrit à son père pour lui annoncer sa résurrection et (f° 36 ) part
pour Rome où il fait une entrée triomphale.
L’empereur mande Pilate pour qu’il lui dépeigne Jésus, (f° 3 9) puis il lui reproche de l’avoir
fait périr et condamne Pilate à mort. (F 0 4 0.) Prière de Pilate : il est mis à mort. Son corps est
transporté à Jérusalem où Ton trouve sa femme morte ainsi que ses enfants.
(F 0 4 2 .) L’impératrice fait chercher la Vierge pour placer sur sa tête la couronne du royaume ;
mais déjà elle était montée au ciel portée par les ailes des chérubins. Le Sauveur ordonne à
Jean de se rendre à Rome. Les soldats qui n’ont point trouvé la Vierge emmènent Jean.
(F° 46 .) L’empereur demande à Jean de lui faire le portrait du Christ. Jean obéit, mais l’image
du Christ lui adresse la parole et se plaint d’être représentée crucifiée. Jean refuse les présents
de l’empereur : un nuage lumineux l’enlève et le dépose sur la montagne des Oliviers.
(F 0 48 .) Les apôtres désirent revoir la Vierge. Elle leur apparaît dans une gloire qu’on ne
saurait décrire et leur donne l’assurance que Pilate, sa femme et ses enfants sont dans le
Paradis.
Ce texte arabe est donné comme étant une homélie composée par Cyriaque,
évêque de Bahnesa. Mais si c’est une homélie , il faut avouer que la partie oratoire
est singulièrement restreinte, car elle est réduite aux trois passages suivants :
k O h quels pleurs il y eut ce jour-là dans la ville de Jérusalem, quand on les vit
enchaînés, les mains liées derrière le dos, traînés par les pieds à travers la ville».
Et au folio 36 : «Oh quelle joie il y eut dans la ville, quand on vit un mort, qui
38
É. GALTIER.
était demeuré trois mois dans le tombeau, ressuscité, porté en litière et précédé
et suivi de troupes nombreuses ». Et enfin la conclusion : « Et moi 1 humble Heria-
qos, je vous le demande, priez pour moi et pardonnez -moi, afin que mon
Seigneur Jésus le Messie me pardonne mes fautes, car c’est un Dieu qui aime
les hommes, qui nous a sauvés par sa croix et qui nous sauvera aussi et nous
pardonnera par sa divinité et qui, en outre, nous a rendus dignes de la joie de
sa résurrection, et dignes de la réunion dans son royaume éternel, afin que
nous bénissions et louions le saint nom de Celui à qui convient la louange, la
gloire, le respect et l’adoration avec son Père pur et l’Esprit Saint, à présent et
en tous temps, et dans les siècles des siècles. Amen.» Et il est d’ailleurs fort
possible que les deux premiers passages appartiennent non pas à Cyriaque, mais
au rédacteur Gamaliel à qui est attribuée cette légende.
Dans cette dernière hypothèse , qui me paraît fort probable , Cyriaque aurait
simplement reproduit avec plus ou moins de fidélité une légende apocryphe
qu’il aurait fait suivre d’une courte péroraison* 1 ). Ce procédé, qui consiste à trans-
former un texte narratif en un sermon en y ajoutant au commencement ou à la
fin quelques réflexions personnelles, est familier aux Coptes, et il est souvent diffi-
cile au premier examen de distinguer si l’on a affaire à un texte narratif apocry-
phique ou à un sermon reproduisant un texte narratif dans lequel le rédacteur
s’adresse de temps à autre à son auditoire. Ainsi M. Revillout a inséré dans son
Evangile des douze apôtres * 2) un fragment qui appartient certainement à une homé-
lie :« Avez-vous, o mes frères, de Seigneur comme celui-ci, aimant ses apôtres, leur
promettant son royaume, pour qu’ils mangent et boivent avec lui sur la table
de son royaume? Depuis qu’il était sur la terre, il mangeait avec eux sur la table
de la terre, en leur rappelant la table de son royaume, car il comptait pour rien
les choses de ce monde. Si tu veux savoir, écoute, je t'enseignerai » Il en est
de même plus loin* 3 ) : «Vous avez vu, o mes bien-aimés, l’amour de Jésus pour
ses apôtres; car il ne leur a rien caché dans les œuvres de sa divinité, une fois
dans la bénédiction des cinq pains d’orge, une fois dans l’action de grâces à son
père, une fois en rendant grâces pour les sept pains. Thomas dit à Jésus »
Ces apostrophes: « ô mes frères », « ô mes bien-aimés », « si tu veux savoir, écoute »,
R' Il y a aussi une autre hypothèse, c’est que Cyriaque aurait composé cet ouvrage de toutes
pièces et l’aurait ensuite attribué à Gamaliel. Je la crois peu vraisemblable, quoiqu’on ait dit quelque
part que c’était une habitude des Coptes, car Cyriaque aurait alors passé sa vie à composer des
légendes apocryphes, occupation peu honorable pour un évêque.
® Revillout, Apocryphes coptes (Patr. orient, I, 1), p. i32.
W Ibid., p. i35.
*
39
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS.
indiquent assez clairement que ces fragments faisaient partie d’une homélie ou
d’un sermon. Or, comme nous l’avons dit plus haut, la prétendue homélie de
Cyriaque est encore plus pauvre en réflexions personnelles, et ceci est un indice
que l’auteur se contente de reproduire simplement une ancienne légende. Si au
lieu d’être écrite en arabe, elle l’était en copte, et si nous n’en possédions que
des fragments, il est probable quelle prendrait aux yeux des critiques une toute
autre importance et qu’ils n’hésiteraient pas à y voir un apocryphe inconnu.
L’auteur de cette légende sur Pilate nous est connu, car il se cite à plusieurs
reprises : au folio 9, quand les Juifs veulent tuer Pilate, il est dit : «Et moi
le pauvre Gamaliel, quand j’eus connaissance de leur piège, je ne pus supporter
cela, et j’allai en hâte trouver Joseph, celui qui avait enveloppé le Sauveur Jésus
dans le linceul, et je l’informai du piège des Juifs». Au folio 29: ce Telles furent
les paroles qu’adressa le chef des anges Gabriel aux chefs élus Joseph et INico-
dème, qui me firent prévenir secrètement et m’apprirent tout ce qu avait dit
l’ange du Seigneur, Gabriel. Et moi, le pauvre Gamaliel, j’étais le disciple de
ces bienheureux. En sortant de chez eux , j’entendis un grand bruit dans la ville. »
Au folio ko: «Ainsi parla le bienheureux Pilate, tandis qu’il priait prosterné. Et
moi le pauvre Gamaliel, je ne pouvais retenir mes larmes, en voyant celles du
bienheureux Pilate. » Et enfin au folio 69 : «Et moi 1 humble Gamaliel, je con-
naissais la science de l’écriture. .... j’ai donc écrit tout ceci, afin de rappeler
la résurrection sainte. » Ce Gamaliel est évidemment le même que celui dont il
est question dans les Apocryphes coptes de M. Revillout, p. 17^, ou ce personnage
intervient dans un passage relatif à Pilate : «(On conduisit) Pilate et le centurion
sur le puits d’eau du jardin, puits très profond. Moi Gamaliel, je les suivais aussi
au milieu de la troupe **). » Si ce Gamaliel est l’auteur putatif d’un certain nombre
de légendes apocryphes dans la littérature copte , rien d’étonnant à ce qu il en
soit de même dans la littérature arabe-copte. C’est à ce même Gamaliel qd’est
attribué, si mes souvenirs sont exacts, le récit d’un miracle qui eut lieu a
Beyrouth, où les Juifs firent subir la passion à une image du Christ* 2 ). Le récit
de ce miracle lui aura sans doute été attribué parce que c’est sous le nom de
Gamaliel que circulaient un certain nombre de récits apocryphes relatifs à la
passion. Et ceci nous est une preuve de plus que notre légende, en supposant
que Cyriaque l’ait modifiée, n’est pas une invention pure et simple de cet évêque,
mais la reproduction arabe de textes dont le copte est perdu.
M Sur ce Gamaliel, cf. Eevillout, Âpocr. coptes , p. 127-138.
(2) Cf. Galtieii, Byzantina ( Romania , 1900).
40
É. GALTIER.
D’autres indices d’ailleurs conduisent à la même conclusion. Ainsi, dans le
texte arabe, il est question d’un voyage de Jean à Rome auprès de l’empereur
Tibère. De même dans les apocryphes copies (1) : « Quant à Garios, il envoya auprès
de l’empereur l’apôtre Jean qui lui dit toute chose au sujet de Jésus. L’empereur
Tibère accorda de grands honneurs à Jean. » Dans les apocryphes coptes on veut
faire Jésus roi : dans le texte arabe c’est la Vierge que l’on cherche pour placer
sur sa tête la couronne du royaume.
Quand l’envoyé de l’empereur interroge Pilate, les Juifs s’écrient : rrQue te
sert de l’interroger? il t’insulte en langue copte, n Ce passage est assez surprenant,
mais il a son pendant dans les Apocryphes coptes (p. i 5 a) : rrHérode ne put
supporter cela sans mépriser Pilate. Il lui dit : rfTu es un Pontus Galiléen,
étranger, Egyptien. r> Il semble qu’il y ait eu en Egypte une tradition d’après
laquelle Pilate était Egyptien d’origine.
La prétendu homélie de Gyriaque reproduit donc une ou plusieurs légendes
de source copte : il me paraît même probable qu’elle a dû être écrite en langue
copte et traduite du copte en arabe. Les mots du texte arabe sont séparés par
une série de points rouges placés à ce qu’il semble au hasard et qu’on ne saurait
prendre pour des signes de ponctuation^. Ges points me semblent marquer la
séparation des lignes arabes correspondant à une ligne de copte. Dans les
manuscrits coptes accompagnés d’une traduction arabe, le copte couvre la plus
grande partie de la page, sauf une marge où est placée la traduction arabe de
chaque ligne copte. Plus tard, lorsque le texte arabe a seul été copié, on aura
marqué la séparation des lignes primitives par des points rouges, et parfois
même le commencement de la page par trois ou quatre points rouges. Si cette
hypothèse est vraie, notre texte arabe serait une pure traduction du copte
Il resterait à déterminer l’époque à laquelle a été écrite cette légende, qui est
certainement antérieure à Cyriaque de Bahnesa; mais l’époque à laquelle a
vécu ce Cyriaque m’est inconnue. On possède de lui les ouvrages suivants :
Un Panégyrique de la Vierge Marie, ms. arabe de la Bibl. nat. n° i 3 a, f. 189-147
(le ms. est de 1629); un autre Panégyrique de la Vierge : ms. ar. n° i5o, f. in-i4i
(ms. de 1606).
Une homélie sur la fuite de la S te Famille en Égypte, ms. ar. n° 1 53 , f. 1-8 (xvn e siècle).
Cf. Lacau, Fragments d’apocryphes coptes, p. 106; Revillout, Apocryphes coptes, p. 1A6.
(2) Revillout, l . J ., p. 1A6.
:3 ' J’ai reproduit les points de la première page du manuscrit.
t4) Ges points n’existent pas dans tous les mss. arabes-coptes ; ainsi le martyre de Saiib en est
dépourvu.
«
MÉMOIRES ET FRAGMENTS INÉDITS. 41
Un discours sur la fuite en Égypte et le séjour de la Vierge et de l’enfant Jésus à Bisous, à
l’est de Bahnesa : ms. ar. n° 1 55 , p. 160-178 (ms.de i 486 ).
Un discours sur la fuite en Égypte et le séjour de la Vierge et de Jésus à Deir-el-Moharraq :
ms. ar. n° i55 p. 178-188 (même date).
Un panégyrique de Victor fils de Romanos : ms. ar. n° 2 1 2, f. 1 49-2 1 4 (la première partie
de ce manuscrit est datée de 1817).
Le martyre de Pilate : ms. ar. n” 1 5 o , f. 1-47 (xvi e siècle) (I) . Le même ouvrage dans le ms.
du fonds syriaque de la Bibliothèque nationale n” 273, f. 22-47 (vvT siècle), en earchouni (2) .
Une homélie sur la Compassion de la sainte Vierge : ms. syr. n° 232 , f. 472-493, en car-
chouni (xvn e siècle). Le même ouvrage dans le ms. syr. n° 2 33, f. 37-76 (xvi' siècle), en Car-
cbouni. Le même ouvrage existe en éthiopien à la Bibliothèque nationale, ms. éthiopien n° 1 o 4 ,
f. 39 (xvi' siècle) (3) .
Cyriaque aurait donc vécu au plus tard au xiv e siècle. Quant à la date à
laquelle a pu être composée la légende apocryphe sur Pilate, je laisse le soin
de la déterminer aux critiques plus versés que moi dans l’étude des ouvrages
apocryphes. Je me contenterai de remarquer que cette légende a été insérée sans
nom d’auteur dans un des recueils éthiopiens de Miracles de la Vierge que
possède la Bibliothèque nationale: c’est le manuscrit n° 62, qui est du xvi e siècle,
et dont M.Zotenberg (4) donne l’analyse suivante sans signaler, selon son habitude,
les textes arabes qui la contiennent, et qui ont échappé à son attention.
Miracle 34 . (F. 5 o) Histoire de Tibère, empereur de Rome, qui ayant appris le crucifiement
de Jésus-Christ, fit punir le juge. Puis son fils étant venu à mourir, il envoya son corps à
Jérusalem trois mois après sa mort et écrivit une lettre à Jésus -Christ, dans laquelle il fit
profession de foi et le pria de ressusciter son fils : «De la part de Tibère, roi de la terre, au
roi des cieux, Dieu béni. Je t’offre mon adoration à toi Jésus-Christ, roi des rois; car j’ai appris
d’un homme nommé Pilate, que tu as ressuscité des morts, et j’ai cru en toi. . . 11 Le corps du
fils de Tibère fut déposé dans le Saint Sépulcre et ressuscita le quatrième jour. Sur la demande
de sa femme, Tibère veut faire venir la Sainte Vierge à Rome, mais Jésus-Christ apparaît à la
Vierge et aux apôtres et leur annonce qu’il va faire monter sa mère vers la Jérusalem céleste et- 1
charge l’apôtre Jean de témoigner auprès de Tibère des actes accomplis par lui.
Miracle 35 . (F. 53 v°) Histoire de saint Jean et de Tibère. Saint Jean raconte la vie de
Jésus-Christ et, sur la demande de Tibère, il peint sur une grande pierre limage de Jésus-
Christ crucifié. Cette image parle à Jean, devant Tibère et devant tout le peuple. Saint Jean
est enlevé par un nuage et porté à Jérusalem auprès des apôtres. La Sainte Vierge lui apparaît
et lui révèle à lui et à Jacques les mystères du royaume des cieux ( b) .
(1) Tous ces manuscrits sont à la Bibliothèque nationale.
® Cf. Zotenberg, Cotai, des mss. syr., p. 211.
® Zotenberg , Cat. des mss. éthiopiens, p. 07.
Ibid., p. 69.
® Cette fin, différente du texte arabe, semble indiquer que l’éthiopien dérive d’une autre source.
Mémoires, t. XXVII.
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mémoires et fragments inédits.
46
É. GALTIER.
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mémoires ET FRAGMENTS INÉDITS. 47
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MÉMOIRES ET FRAGMENTS INEDITS.
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